Chaque jour depuis 10 ans, plus de 40 automobilistes voient leur permis suspendu sur-le-champ à cause de l'alcool. C'est en moyenne 15 600 permis par année, dont 85 % appartiennent à des hommes. Mais de plus en plus de Québécoises font partie du lot, selon l'analyse de La Presse des données de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ).

HAUSSE DES SUSPENSIONS DE 15 %

Le taux de suspension de permis de conductrices a augmenté de 15 % en 2014 par rapport à la moyenne de 2000 à 2013. Pour les femmes de 20 à 34 ans, la hausse est même de 50 %. Chez l'ensemble des hommes, on observe une baisse de 19 %, surtout marquée chez les moins de 19 ans. Plus d'hommes que de femmes sont pris en flagrant délit, mais le ratio change. En 2005, le permis de six fois plus d'hommes que de femmes a été suspendu, alors qu'en 2014, c'était quatre fois plus - en tenant compte du nombre de titulaires de permis par sexe. L'alcool est derrière 91 % des infractions au Code criminel reliées à la conduite d'un véhicule.

L'AVIS D'EXPERTS

« Les femmes, surtout les jeunes, boivent plus qu'avant et elles abusent davantage, affirme Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool. Sans pouvoir établir un lien de cause à effet, ce ne serait pas surprenant si elles prenaient plus de risques et conduisaient après un verre de trop. » Étienne Blais, criminologue à l'Université de Montréal, observe une augmentation des délits commis par les femmes en général. « L'écart entre les sexes s'amenuise avec les années, les femmes sont plus impliquées dans les crimes qu'avant », dit-il. Il suggère aussi qu'elles parcourent plus de kilomètres qu'auparavant, ce qui augmente le risque qu'elles soient arrêtées.

CIBLER LES JEUNES FEMMES

« On a associé le problème d'alcool au volant aux hommes et probablement moins fait de prévention chez les jeunes femmes », estime Marie Claude Ouimet, professeure adjointe à l'Université de Sherbrooke qui s'intéresse aux comportements routiers à risque. Devrait-on ajuster les stratégies de prévention à celles-ci ? « Idéalement, car elles semblent plus téméraires qu'avant, mais les hommes demeurent surreprésentés, répond Lyne Vézina, directrice des études et stratégies en sécurité routière à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ). Comme nos budgets sont limités, on cible d'abord la masse dans nos campagnes et on fait parfois des choix déchirants. »

UNE PROBLÉMATIQUE EN RÉGION

Les taux les plus élevés de conducteurs - sans distinction de sexe - qui se sont fait prendre avec les facultés affaiblies résident en région, d'abord dans le Nord-du-Québec, puis sur la Côte-Nord et en Abitibi-Témiscamingue. Montréal, Laval et Québec affichent les plus faibles ratios. Transports en commun insuffisants ou inexistants, taxis peu nombreux, longues distances à parcourir : cela contribue à pousser des fêtards en région à prendre leur voiture, affirment les experts consultés par La Presse. « Le manque de solutions de rechange n'excuse en rien la conduite avec facultés affaiblies ! », martèle néanmoins Hubert Sacy, d'Éduc'alcool. « C'est aussi un reflet des activités policières et des priorités qui varient d'une région à l'autre », croit Étienne Blais, criminologue à l'Université de Montréal.

Graphique La Presse

Taux de suspension de permis de conductrices à cause de l'alcool.

Graphique La Presse

Taux de suspension de permis de conducteurs à cause de l'alcool.

QUE SE PASSE-T-IL DANS LE NORD-DU-QUÉBEC ?

Trois fois plus de résidants du Nord-du-Québec voient leur permis suspendu à cause de l'alcool que la moyenne de ceux des autres régions. Il n'y a « pas de problématique criante » liée à la conduite avec les facultés affaiblies dans le Nord-du-Québec, croit néanmoins le professeur Stéphane Grenier, de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, qui s'intéresse à la sécurité routière chez les autochtones. « Les gens du Nord-du-Québec boivent plus, comme sur la Côte-Nord ou en Abitibi, mais ils conduisent surtout plus, couvrant de plus grandes distances, s'exposant ainsi davantage à être arrêtés », explique-t-il.

RÉCIDIVISTES OU NON ?

En 2001, 31 % des sanctions pour conduite avec facultés affaiblies étaient remises à des récidivistes. En 2014, 17 % d'entre elles l'étaient. « C'est une baisse notable, mais ce qu'il faut retenir, c'est que bon an, mal an, la majorité des cas de conduite en état d'ébriété sont des nouveaux cas ! », soutient Lyne Vézina, directrice des études et stratégies en sécurité routière à la SAAQ.

LES FORCES POLICIÈRES À PLEIN RENDEMENT ?

Chaque année, les policiers suspendent environ le même nombre de permis, même si le nombre de conducteurs augmente. Pour Étienne Blais, criminologue à l'UdeM, cela signifie que « les ressources policières actuelles ont probablement atteint leur pleine capacité ». Il estime qu'il y a « une stagnation de la problématique de l'alcool au volant depuis 15 ans, malgré l'amélioration du bilan routier sur lequel d'autres effets structuraux, comme le vieillissement de la population, jouent ». Le criminologue se désole que le Québec soit la seule province canadienne à ne pas imposer une sanction administrative pour l'alcool au volant dès qu'on décèle 50 mg d'alcool par 100 ml de sang. L'alcool au volant cause en moyenne 160 décès, 370 blessés graves et 1900 blessés légers par année dans la Belle Province.

- Avec la collaboration de Mauro Valdès