Deux importants cabinets d'avocats de Montréal liés à l'ex-directrice principale des affaires juridiques d'Hydro-Québec Pamela McGovern ont obtenu 13 millions en cinq ans pendant son séjour à la tête du contentieux de la société d'État. C'est le quart des honoraires versés par Hydro-Québec à des avocats externes pendant cette période, a appris La Presse grâce à une demande d'accès à l'information.

La démission-surprise de l'avocate en chef d'Hydro-Québec, en mars 2015, dans la foulée de celles de trois hauts dirigeants, dont le PDG Thierry Vandal, avait provoqué des échanges musclés à l'Assemblée nationale. Une enquête interne était alors en cours spécifiquement sur l'attribution de mandats aux cabinets Lavery, l'ancien employeur de Me McGovern, et McCarthy Tétrault, où pratique son mari. Talonné par l'opposition, le ministre de l'Énergie Pierre Arcand avait assuré que le vérificateur interne ferait «la lumière» sur ces allégations «très sérieuses».

Or, ce rapport de Mario Laprise, vérificateur interne d'Hydro-Québec et ex-directeur de la Sûreté du Québec, n'a jamais été rendu public. Hydro-Québec a refusé de nous donner ce document en vertu d'une dizaine d'exceptions à la Loi sur l'accès à l'information. «C'est un rapport d'enquête qui doit demeurer à l'interne, puisqu'il contient des renseignements nominatifs», soutient Isabelle Thellen, chef des affaires publiques d'Hydro-Québec.

Par contre, La Presse a obtenu par la loi d'accès à l'information les montants des honoraires payés aux deux cabinets entre 2010 et 2014.

Lavery et McCarthy Tétrault, deux poids lourds du milieu juridique québécois, ont décroché au-delà d'une centaine de mandats sous la direction de Me McGovern. En 2014, le cabinet Lavery a touché 2,6 millions en honoraires d'Hydro-Québec. Cela représente le tiers des sommes versées à des avocats externes cette année-là, soit 7,7 millions. De 2010 à 2014, les dizaines de mandats décrochés par Lavery ont rapporté un total de 8,8 millions au cabinet.

Pamela McGovern, qui a été avocate en chef d'Hydro-Québec d'octobre 2009 à mars 2015, a pratiqué pendant 25 ans au sein du cabinet Lavery, notamment comme chef de groupe en litige commercial. Lavery, aussi connu sous le nom de Lavery de Billy, est le troisième cabinet en importance au Québec, selon le site web spécialisé Droit-Inc.com, avec plus de 200 avocats. Jointe par La Presse, Pamela McGovern a refusé de commenter le dossier.

Hydro-Québec se défend d'avoir favorisé le cabinet Lavery pendant le règne de Me McGovern.

Les contrats attribués à Lavery par Hydro-Québec n'ont «aucune irrégularité quelconque», martèle Donald McCarty, associé directeur de Lavery, que ce soit «pendant, avant ou après» le passage de Pamela McGovern à la société d'État. «Beaucoup des mandats que nous recevons et que nous avons reçus d'Hydro-Québec font suite à un processus d'appel d'offres auquel nous avons soumis notre expertise et les tarifs que nous proposons. C'est suite à ce processus que nous avons reçu ces contrats», explique le grand dirigeant du cabinet.

Daniel Benay, le mari de Pamela McGovern, a le statut d'associé chez McCarthy Tétrault. Il se spécialise notamment en droit de l'énergie, en fusions et acquisitions et en droit des sociétés. McCarthy Tétrault, un des plus gros cabinets au pays, a décroché 55 mandats d'Hydro-Québec entre 2009 et le printemps 2015.

Le cabinet de Daniel Benay n'a toutefois perçu que la moitié des honoraires de Lavery au cours des cinq années complètes du mandat de Pamela McGovern. Ces 4 millions en honoraires représentent 8% de toutes les sommes versées à des cabinets privés durant cette période par Hydro-Québec. Même si McCarthy Tétrault n'a pas obtenu une grande proportion des contrats distribués par Hydro-Québec, le vérificateur interne d'Hydro-Québec s'est néanmoins penché sur les mandats confiés à ce cabinet sous Pamela McGovern.

Hélène Sansoucy, porte-parole de McCarthy Tétrault, maintient que le cabinet d'avocats a «toujours respecté les règles qui régissent la profession juridique» au cours des 25 ans de collaboration avec Hydro-Québec. «Tous les mandats octroyés à McCarthy Tétrault l'ont été conformément aux règles d'appels d'offres de services juridiques d'Hydro-Québec», rappelle-t-elle.

Approbation par une supérieure

La démission de Pamela McGovern en mars 2015 est survenue quelques semaines seulement après les départs du PDG Thierry Vandal et de son bras droit Marie-José Nadeau. C'est d'ailleurs celle-ci, en tant que vice-présidente exécutive, affaires corporatives et secrétaire générale d'Hydro-Québec, qui autorisait l'attribution de mandats aux cabinets Lavery et McCarthy Tétrault, étant donné les possibles conflits d'intérêts de Pamela McGovern.

«L'envoi des dossiers était approuvé par sa supérieure. Ce n'est pas elle [Pamela McGovern] qui décidait: "J'envoie ça à Lavery." Elle a obtenu le consentement de son supérieur [Marie-José Nadeau]. Et c'est à ce moment-là que ça nous était envoyé», explique Donald McCarty, associé directeur de Lavery. Selon lui, Pamela McGovern n'avait de toute façon «aucun avantage de choisir Lavery par-dessus un autre cabinet».

Plus d'une vingtaine d'enquêtes internes ont été menées par Hydro-Québec dans les dernières années. Aucun de ces rapports n'a été rendu public. Le vérificateur interne Mario Laprise, en fonction depuis septembre 2014, a été un haut cadre de la société d'État de 2005 à 2012 avant de prendre brièvement les rênes de la Sûreté du Québec.

Hydro-Québec favorise le privé

À partir de 2012, les affaires juridiques d'Hydro-Québec ont diminué environ de moitié les honoraires payés à des cabinets privés. Par exemple, Hydro-Québec avait déboursé au moins 15 millions par année en expertise externe de 2008 à 2010, contre une moyenne de 8 millions pour les quatre années suivantes.

Cependant, Hydro-Québec a dépensé davantage de 2011 à 2014 en expertise externe que pour la masse salariale de son personnel juridique, incluant la quarantaine d'avocats, les recherchistes et les secrétaires. En 2013, Hydro-Québec a alloué 7,8 millions à son équipe juridique, primes et avantage sociaux inclus, contre 9,6 millions à des cabinets d'avocats.

Selon Hydro-Québec, la moitié des avocats du contentieux se spécialisent en droit réglementaire. Ainsi, certains litiges d'envergure nécessitent d'avoir recours à de l'expertise externe qui n'est pas détenue par son équipe juridique. «En 2014 et 2015, il y a eu de gros dossiers qui ont occupé à la fois les avocats d'Hydro-Québec et les avocats à l'externe, par exemple les conflits liés à CFLCO [Churchill Falls Labrador Corp.]. Pour 2015, par exemple, c'est la moitié des honoraires à l'externe qui ont été octroyés [pour ce dossier]. [...] Dans le cas de Churchill, c'est un conflit qui a été initié par la partie terre-neuvienne, donc il a fallu qu'on se défende», explique la porte-parole d'Hydro-Québec.

- Avec William Leclerc, La Presse

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Pamela McGovern