Le gouvernement Trudeau était-il prêt à recevoir des milliers de réfugiés en si peu de temps ?

Je me suis posé la question après ce reportage à Toronto sur les traces d'Abdul, un réfugié syrien dont ma collègue Michèle Ouimet avait raconté l'histoire à Beyrouth. En discutant avec Abdul et les familles hébergées dans le même hôtel que lui, j'ai vu ce que les images officielles et les beaux chiffres ronds ne montrent pas : des gens vulnérables qui, devant des services d'accueil débordés, peinaient à obtenir l'aide et l'information de base dont ils avaient besoin.

Certains voient dans ces difficultés de nouvelles raisons de remettre en cause la politique d'accueil du gouvernement Trudeau. L'État n'a pas les moyens d'accueillir autant de réfugiés syriens, disent-ils. Ce n'est pas ma vision des choses.

Je ne suis pas de ceux qui croient que 25 000 réfugiés au Canada, c'est trop. En fait, 25 000, c'est très peu. La guerre en Syrie a entraîné la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. On parle de plus de 250 000 morts. Des gens qui périssent sous les bombes. D'autres qui meurent de faim. Des survivants qui fuient, prêts à risquer leur vie en mer pour un coin de ciel bleu. Des familles traumatisées qui attendent dans des camps de réfugiés un espoir qui ne vient pas.

Rappelons que la guerre a contraint à l'exil plus de quatre millions de Syriens. Des réfugiés qui, comme tous les réfugiés, ne quittent pas leur pays par caprice, mais bien parce qu'ils n'ont pas le choix. Des gens comme vous et moi qui ne veulent que vivre en paix et envoyer leurs enfants à l'école. Sauf que pour l'heure, la plupart mènent une vie de misère dans les pays voisins de la Syrie. D'ici la fin de 2016, on estime qu'il y aura parmi eux 2,5 millions d'enfants. Des enfants sans enfance, souvent privés d'école et contraints de travailler.

Dans un tel contexte, l'accueil de 25 000 réfugiés syriens par le gouvernement Trudeau - moins de 1 % d'entre eux -  n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan. Mais c'est déjà beaucoup mieux que la semi-gouttelette du gouvernement Harper.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas quelques ratés ici et là et des ajustements qui s'imposent. Bien accueillir des milliers de réfugiés en si peu de temps comporte son lot de défis. Tous ces égoportraits du premier ministre Trudeau avec des réfugiés syriens sont peut-être bien touchants, mais ils ne racontent qu'une partie de l'histoire. Ils ne nous disent rien sur le sous-financement des organismes qui viennent en aide aux réfugiés pris en charge par l'État. Rien sur la difficulté de trouver un logement abordable dans une grande ville comme Toronto. Rien sur le manque de soins en santé mentale pour des survivants hantés par des images d'horreur. Rien sur le vertige de celui qui se retrouve exilé dans un pays enneigé où il ne connaît personne.

En fait, l'accueil des réfugiés agit comme une loupe qui nous montre à la fois le meilleur et le pire chez ce pays. Quand je pense au pire, je pense aux failles de notre filet social. Je pense surtout à l'urgence de renforcer ce filet non seulement pour les réfugiés, mais pour tous les laissés-pour-compte de la société. Car la pénurie de logements sociaux n'est ni un problème nouveau ni un problème propre aux réfugiés syriens. C'est un problème pour tous les citoyens qui vivent dans la pauvreté. Même chose pour le sous-financement des soins en santé mentale.

Quand je pense au meilleur, je pense à l'incroyable élan de générosité et de solidarité qui permet à des rescapés de l'horreur de reconstruire leur vie. Je pense à ce directeur commercial qui, en lisant mon reportage de samedi dernier, a eu une pensée émue pour sa mère, arrivée de Hongrie à l'âge de 14 ans, seule et fragile. Touché par l'histoire d'Abdul, qui disait vouloir peut-être s'établir à Ottawa, il m'a écrit pour lui proposer de postuler un emploi dans un magasin de Kanata.

Je pense aussi à ce couple d'agriculteurs de la région de Joliette qui a proposé d'aller chercher Abdul à Toronto et de l'héberger gratuitement, le temps qu'il puisse apprendre le français, accumuler un peu d'argent en travaillant à la ferme pour ensuite pouvoir voler de ses propres ailes.

D'autres lecteurs ont aussi proposé leur aide pour un toit, un emploi, un fil d'espoir - ils sont si nombreux que ce serait impossible de tous les nommer ici. Toute cette générosité est allée droit au coeur d'Abdul, qui tente de voir quelle serait la meilleure voie pour lui. En prenant connaissance de ces messages chaleureux, venus du Québec pour la plupart, il s'est presque mis à regretter que la loterie des réfugiés ne l'ait pas fait atterrir au Québec plutôt qu'en Ontario. Il vous dit merci.

DEPUIS LE 4 NOVEMBRE 2015

14 784 réfugiés syriens sont arrivés au Canada

8567 réfugiés parrainés par le gouvernement

5240 réfugiés parrainés par le secteur privé

977 parrainés dans le cadre d'un programme mixte (gouvernement et répondant privé)

Source : Citoyenneté et Immigration Canada