Les centaines de milliers d'automobilistes québécois représentés dans un recours collectif visant un présumé cartel de l'essence qui aurait sévi de 2002 à 2006 dans 14 régions du Québec ont remporté une victoire importante en Cour d'appel. Ils pourront ainsi interroger l'enquêteur-chef du Bureau de la concurrence du Canada (BCC), et peut-être mettre la main sur des éléments de preuve d'une vaste enquête fédérale qui seront déterminants en vue de leur lointain procès.

L'organisme fédéral refusait mordicus que l'enquêteur-chef de l'enquête Octane soit contraint de comparaître à ce stade préliminaire des procédures, puisque le BCC n'est pas poursuivi ni n'est partie au dossier. Une question constitutionnelle était au coeur de ce complexe débat juridique: l'État fédéral jouit-il d'une immunité à l'égard des lois provinciales civiles? Non, puisque le « législateur a exprimé sa volonté de restreindre l'immunité de l'État fédéral » dans ce cas de figure, ont tranché les trois juges de la Cour d'appel dans leur jugement du 22 décembre qui vient confirmer la décision de la Cour supérieure. 

Même s'il « peut paraître inhabituel », cet interrogatoire préliminaire est crucial pour les plaignants du recours collectif.  

« À défaut de pouvoir interroger l'enquêteur-chef, leur recours collectif risque d'être tué dans l'oeuf, le Bureau étant le seul à détenir la preuve étayant leur thèse, s'il en est », souligne la Cour d'appel. 

L'Association pour la protection automobile et Daniel Thouin allèguent dans leur recours, autorisé en septembre 2012, que des pétrolières, des distributeurs et des détaillants auraient comploté pour s'entendre sur le prix de vente de l'essence à la pompe dans une vingtaine de villes, dont Québec, Rimouski, Trois-Rivières et Drummondville, de janvier 2002 à juin 2006. Ce recours s'ajoute à un autre recours intenté en 2008 pour un cartel de l'essence qui aurait sévi à Thetford Mines, Victoriaville, Sherbrooke et Magog. 

Dans cette affaire (le recours Jacques), la Cour suprême a d'ailleurs donné raison aux requérants, en octobre 2014, en autorisant l'utilisation des enregistrements d'écoute électronique effectués par le BCC durant l'enquête Octane. 

Une montagne de conversations interceptées 

Cette immense preuve est également la clé de voûte du recours intenté par M. Thouin et l'Association: 220 000 conversations interceptées de 2001 à 2007 et 630 000 pages de document. Ces éléments de preuve ont permis de porter des accusations criminelles contre une cinquantaine de personnes qui auraient participé à un cartel de l'essence dans les quatre villes visées par le recours Jacques. 

Or, parmi cette montagne de conversations, il est fort possible que le BCC détienne des enregistrements susceptibles d'être utilisés dans le recours Thouin. Ainsi, en interrogeant l'enquêteur-chef, les avocats pourront confirmer l'existence de ces enregistrements. Cela ne leur garantit toutefois pas de pouvoir mettre la main sur ces preuves par la suite. 

« Refuser l'interrogatoire préalable de l'enquêteur-chef [...] pourrait favoriser les intérêts des individus ou sociétés qui, par des ententes secrètes, fixent le prix de biens et de services au préjudice de l'ensemble des consommateurs. Priver les consommateurs de l'information détenue par le Bureau pourrait rendre, en certains cas, de tels recours illusoires », peut-on lire dans le jugement.