Selon des notes internes du gouvernement, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pourrait unir ses forces à celles de certains de ses plus fidèles alliés comme la CIA ou le MI6 britannique pour mener des opérations à l'étranger, ce qui suscite de nombreux questionnements quant à l'imputabilité du SCRS en vertu de la nouvelle loi antiterroriste.

La loi omnibus, qui a obtenu la sanction royale le 18 juin 2015, permet désormais au SCRS de participer à des opérations internationales visant à perturber des complots terroristes, notamment en menant des actions secrètes qui pourraient contrevenir aux lois, révèlent ces mêmes notes.

Dans ce contexte international, le SCRS chercherait vraisemblablement à travailler de concert avec des partenaires locaux ou encore avec des alliés sur le terrain plutôt que de lancer une opération indépendante.

Dans le passé, le SCRS a été invité à participer à des opérations communes sur la scène internationale pour contrecarrer des menaces ou pour assister des alliés, mais l'agence n'avait pas le mandat pour agir de la sorte, peut-on lire dans les documents.

Ce nouveau mandat de «perturber afin de déjouer certains complots terroristes» - qui est peut-être l'élément le plus litigieux de la nouvelle loi - pourrait désormais permettre au service de renseignement canadien de s'ingérer subrepticement dans des sites Internet, d'annuler des réservations de vols ou de saccager une voiture, par exemple.

Le service de renseignement pourrait même participer à des activités de «perturbation» qui violeraient la Charte des droits et libertés, mais il lui faudrait obtenir l'approbation d'un juge, une mesure qui pervertit le rôle de la justice selon certaines critiques.

Selon les notes gouvernementales, le SCRS coordonnerait ses activités d'espionnage avec d'autres agences comme la Gendarmerie royale du Canada (GRC), l'Agence des services frontaliers du Canada et le ministère des Affaires étrangères, et pourrait utiliser ses pouvoirs dévolus par la loi pour demander au Centre de la sécurité des télécommunications, le service de renseignement électronique canadien, de lui fournir l'expertise technique nécessaire.

Toutefois, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) ne peut que surveiller les activités mêmes du service de renseignement canadien. Tout un pan de ces opérations internationales échapperait donc à son oeil avisé.

Les possibles partenariats que le SCRS pourrait former avec des services de renseignement étrangers soulèvent des questions quant à la capacité pour le CSARS de suivre l'ensemble de ces opérations, soutient Craig Forcese, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, qui a obtenu les notes gouvernementales en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

«Le CSARS est lié au SCRS - ce qui signifie qu'il peut uniquement examiner ce que le SCRS fait, pas ce que ses partenaires peuvent faire», explique M. Forcese, co-auteur du livre «False Security» qui démonte la nouvelle loi antiterroriste, la qualifiant d'occasion de réforme ratée.

Plus les opérations menées conjointement vont prendre de l'expansion et vont s'accroître en nombre, plus les «manquements dans le système d'imputabilité» vont prendre de l'importance, ajoute-t-il.

Josh Paterson, le directeur de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, estime que le CSARS, avec son mandat et ses ressources actuelles «est totalement inadéquat» pour contrôler les activités internationales du SCRS. «Lorsque des opérations sont menées conjointement avec des services étrangers, le problème est plus épineux», s'inquiète-t-il.

Le chien de garde du SCRS devra «gonfler ses capacités» pour examiner les opérations étrangères, croit M. Forcese. «Cela va nécessiter plus d'argent et plus de ressources», mentionne-t-il.

Le nouveau gouvernement libéral a laissé savoir qu'il allait s'attaquer aux «éléments problématiques» de la nouvelle loi antiterroriste pour s'assurer, notamment, que tous les mandats confiés au SCRS respectent la Charte. Les troupes de Justin Trudeau ont également annoncé leur intention de créer un comité parlementaire, dont les membres pourraient voir certaines informations provenant de l'agence de renseignement.

Mais un comité parlementaire ne peut assurer tout le contrôle nécessaire, prévient M. Paterson.

Les organes de surveillance existants «doivent être renforcés et doivent pouvoir agir sur les activités inter-agences», dit-il.

Une opinion que partage M. Forcese, ajoutant que «le gouvernement libéral comprend cela, et ne va pas centrer sa réforme d'imputabilité en créant simplement un comité parlementaire sur la sécurité».