Les dépanneurs commenceront «très bientôt» à demander systématiquement une carte d'identité aux acheteurs de produits du tabac, d'alcool ou de loterie, quel que soit leur âge.

C'est la riposte de l'Association québécoise des dépanneurs en alimentation (AQDA) aux sanctions du gouvernement à l'encontre de ceux qui vendent ces produits aux mineurs. L'organisme qui regroupe 1700 membres affirme que cela «va changer le visage du Québec».

L'association a fait connaître sa position jeudi, aux audiences de la commission parlementaire sur le projet de loi 44, qui vise à renforcer la lutte au tabagisme.

Ce projet de loi prévoit l'interdiction de fumer sur les terrasses, l'interdiction de fumer à bord d'un véhicule en présence d'un mineur de moins de 16 ans, l'interdiction des arômes et du menthol dans les produits du tabac, ainsi que l'assujettissement de la cigarette électronique aux mêmes restrictions que les autres produits du tabac.

En point de presse avant la présentation de son mémoire, le président de l'association, Michel Gadbois, a dit que le gouvernement est en train de tuer les dépanneurs avec ses inspections et ses amendes, en posant des «guets-apens» aux commis et aux propriétaires.

«C'est un drame, a-t-il déclaré. C'est 250 000$ d'amende. Quand vous avez 5000 poursuites au bout du nez, on voit que le gouvernement y va par la répression. Nous, on y va par l'éducation et l'information.»

C'est fini le discrétionnaire, a-t-il dit. Le permis de conduire ou la carte d'assurance-maladie sera demandé systématiquement.

«Le «cartage» subjectif a atteint ses limites, a-t-il soutenu devant la commission parlementaire en matinée. (...) La répression accrue ne donnera rien. Il faut qu'on prenne le taureau par les cornes et qu'on règle le problème.»

M. Gadbois demande donc que le «cartage obligatoire», l'identification obligatoire des clients, soit ajouté au projet de loi, sinon les dépanneurs sont prêts à l'imposer eux-mêmes très bientôt.

«Nous sommes fin prêts, a dit M. Gadbois devant la commission parlementaire. Que vous le mettiez ou non dans la loi, nous, on y va. (...) Pas de carte, pas d'achat, c'est aussi simple que ça.»

Il a donné l'exemple d'un dépanneur de Roberval qui a imposé la mesure de l'identification obligatoire et personne ne s'en formalise, a-t-il précisé.

Le président de l'AQDA a affirmé que cette mesure imposée à la grandeur du territoire «va changer le visage du Québec».

La ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, qui pilote le projet de loi, n'a pas dit clairement si le gouvernement allait légiférer pour rendre l'identification obligatoire.

Un accrochage a eu lieu entre l'opposition officielle et l'AQDA. Le porte-parole du Parti québécois, le député de Rosemont, Jean-François Lisée, a dit être surpris de constater que les positions de l'association sont les mêmes que les cigarettiers. Notamment, ils s'opposent à l'interdiction de l'ajout d'arômes et de menthol au tabac.

M. Lisée a voulu savoir quelle part du financement de l'AQDA vient des cigarettiers, mais M. Gadbois n'a pas voulu répondre.

«Le fait que vous disiez que vous ne savez pas quelle est la proportion de votre budget qui vient des cigarettiers, cela remet en cause votre crédibilité, a dit le député péquiste. Je pense que c'est un problème. La question vous avait été posée au Sénat canadien, vous aviez répondu: je n'ai pas les chiffres, je vous reviendrai une autre fois. Là c'est une autre fois, vous ne les avez toujours pas. C'est louche.»

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a estimé pour sa part que l'AQDA fait diversion avec l'identification obligatoire, pour éviter d'aborder les grands enjeux. La porte-parole de la coalition, Flory Doucas, soutient que l'association des dépanneurs a milité activement sur le terrain contre l'interdiction du menthol.

«Militer pour l'identification obligatoire est une façon de redorer leur image et ne pas parler des grands enjeux, comme par exemple que l'association semble être un porte-étendard de l'industrie du tabac», a affirmé Mme Doucas en entrevue téléphonique.

Par ailleurs, les directeurs de la santé publique de toutes les régions ont également présenté un mémoire largement favorable au projet de loi, mais qui propose d'aller encore plus loin.

Ils recommandent entre autres d'interdire les chambres pour fumeurs et les fumoirs dans tous les établissements de santé, d'interdire les salons de cigare et de chichas, d'interdire le tabagisme sur les terrains de jeux, et également sur les terrains de tous les établissements d'enseignement supérieur.

Ils ont rejeté le compromis des tenanciers de bars qui proposent de diviser les terrasses avec un espace pour les fumeurs. Selon Richard Massé, de la Direction de la santé publique de Montréal, la concentration de produits toxiques est «significative», même sur les terrasses, en raison des abris, des toiles qui sont souvent mises tout autour.

«Il faut progressivement, année après année, réduire le nombre d'endroits où il est permis de fumer, et ainsi les gens vont cesser de fumer, et ce sera bon pour la santé et pour les budgets de l'État», a affirmé François Desbiens, de la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale.

Les directeurs de la santé publique souhaitent également des normes et un contrôle sur les substances utilisées dans les cigarettes électroniques. Richard Massé a dit avoir été traumatisé par ce qu'il a vu.

«On ne connaît même pas les concentrations des produits utilisés, a-t-il indiqué. Parfois les mélanges sont déjà faits dans une bouteille à l'étranger, en Chine, parfois dans des laboratoires. J'en ai vu faire des mélanges devant moi. Honnêtement, je revenais 50 ans en arrière, c'est un peu traumatisant.»