Quand Maude Auclair a décidé de quitter Saint-Jean-sur-Richelieu pour s'installer à 20 km de là, à Saint-Alexandre, le crédit de taxes de trois ans offert par la petite municipalité a compté pour beaucoup. «C'est un premier achat pour nous, alors on trouvait ça intéressant. Ça coûte tellement cher d'acheter une maison que c'était ça de sauvé», explique la jeune mère.

Mais tout indique que, comme des dizaines de personnes qui viennent d'acheter une propriété à Saint-Alexandre, la jeune famille devra faire son deuil de ce crédit d'impôt foncier qui aurait pu lui permettre d'épargner jusqu'à 5000$. Le ministère des Affaires municipales (MAMOT) vient en effet d'aviser Saint-Alexandre qu'elle n'a pas le pouvoir d'offrir un tel rabais aux acheteurs de nouvelles maisons.

La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme permet aux municipalités d'accorder des crédits seulement pour revitaliser des secteurs où la majorité des bâtiments ont été construits depuis au moins 20 ans. Les nouveaux lotissements résidentiels se trouvent ainsi exclus. «Le but d'un tel programme n'est pas de développer des secteurs non construits, mais plutôt de donner un nouveau souffle à un secteur existant», écrit le sous-ministre Sylvain Boucher. Le MAMOT a ainsi demandé à Saint-Alexandre de corriger le tir.

Crédit aboli

Aussitôt avisés de l'illégalité de leur programme, les élus de la petite municipalité ont voté, lors d'une rencontre lundi soir, pour l'abolition de ce règlement qui datait de 2009. Fini le crédit qui permettait aux nouveaux propriétaires d'épargner 100% de leurs taxes municipales la première année, 75% la deuxième et 50% la troisième. «Il va sûrement y avoir de la déception», prédit le maire Luc Mercier.

Et pour cause. Plusieurs résidants rencontrés hier dans le nouveau lotissement domiciliaire de Saint-Alexandre ont affirmé avoir choisi la municipalité en raison du crédit de taxes. Ceux-ci évaluent que le programme leur permettait d'économiser de 3000 à 5000$ sur trois ans. «C'est toujours intéressant de ne pas payer de taxes», résume M. Beaulieu, un retraité qui a quitté sa propriété de Saint-Hubert pour se rapprocher de sa famille.

Les promoteurs et courtiers immobiliers misaient d'ailleurs sur ce crédit de taxes pour attirer les acheteurs. À l'entrée du nouvel ensemble résidentiel, où le bruit des scies et des marteaux est constant, une pancarte annonce que les acheteurs sont admissibles à un crédit de taxes pour trois ans.

Surpris de la décision de Québec, les résidants espèrent qu'ils ne perdront pas au change. «C'est écrit sur notre contrat de notaire qu'on a un crédit de taxes. Est-ce qu'on va être remboursés?», demande M. Beaulieu. «J'espère qu'ils vont tenir leur promesse», dit pour sa part Maude Auclair.

Selon les informations reçues par Saint-Alexandre, les 21 propriétaires qui ont bénéficié jusqu'à présent du crédit n'auront pas à rembourser. Mais les 70 autres qui viennent d'acheter une maison devront oublier leur réduction de taxes.

«On ne peut pas rembourser les gens, on n'a pas le pouvoir. On ne peut quand même pas faire ça en dessous de la table», explique Luc Mercier, maire de Saint-Alexandre.

Autonomie promise

Déçu de la décision de Québec, Luc Mercier indique qu'il a adressé une demande à la Fédération québécoise des municipalités (FQM) pour qu'elle tente de convaincre Québec de permettre aux municipalités d'accorder de tels crédits de taxes. Le maire de Saint-Alexandre trouve cette décision de Québec d'autant plus étonnante qu'elle survient alors que le gouvernement parle d'accorder une plus grande autonomie aux municipalités pour assurer leur développement.

«Au dernier congrès de la FQM, le premier ministre Philippe Couillard et le ministre des Affaires municipales Pierre Moreau sont venus nous parler de gouvernance de proximité. Ça nous faciliterait la vie si on pouvait encourager le développement domiciliaire. Ça nous assurerait des revenus supplémentaires pour rendre notre milieu plus accueillant pour nos citoyens», dit Luc Mercier.

Le crédit de taxes avait été mis en place en 2009 pour encourager des personnes à s'établir à Saint-Alexandre. Et tout indique qu'il portait ses fruits. Alors que la population déclinait, elle a recommencé à croître depuis 2009, et ce, plus rapidement que dans le reste de la région. Ce renouveau a surtout attiré des jeunes familles, le nombre d'enfants ayant bondi depuis. À 35 ans, l'âge médian de Saint-Alexandre est d'ailleurs beaucoup moins élevé que dans le reste de la région, où il est de 41,6 ans.

« Ça devient de la concurrence déloyale »

Saint-Alexandre est loin d'être la seule à miser sur les crédits de taxes pour stimuler le développement immobilier, des dizaines de municipalités québécoises proposant de réduire l'impôt foncier de leurs nouveaux résidants. «Ça devient de la concurrence déloyale», dénonce le maire d'Amqui, Gaëtan Ruest.

Pas besoin de chercher longtemps pour trouver des municipalités offrant des crédits de taxes aux nouvelles constructions résidentielles. Il suffit de lire les annonces immobilières qui insistent souvent sur ces économies pour mousser leurs propriétés.

La municipalité de Farnham, voisine de Saint-Alexandre, dit avoir créé un programme en 2003 pour les acquéreurs de nouvelles constructions. Ceux-ci ont droit à une subvention couvrant pendant trois ans le coût des taxes sur leur bâtiment.

Thetford Mines, au sud de Québec, a mis de l'avant un programme d'accès à la propriété qui permet de récupérer jusqu'à 2500$ en taxes municipales pour les personnes acquérant une nouvelle propriété pour la première fois dans la municipalité. Près de Trois-Rivières, Louiseville offre quant à elle un crédit aux nouvelles constructions couvrant 100% des taxes municipales les deux premières années et 50% la troisième.

Même si diverses municipalités de sa région, Matapédia, offrent de tels crédits, Gaëtan Ruest a toujours refusé de leur emboîter le pas. «Les citoyens ont tous internet, vont sur Google et voient que d'autres municipalités offrent des crédits. Ils nous demandent souvent pourquoi ils n'ont pas droit à ça», explique celui qui dirige Amqui depuis 17 ans.

Gaëtan Ruest dit avoir étudié la question et rapidement compris que la loi interdisait une telle pratique. «On n'est jamais embarqués là-dedans en se disant que ce n'était pas permis. Nous, on se donne des moyens pour être plus attrayants, mais il faut qu'on le fasse sur la même base que les autres municipalités, sinon, ça devient de la concurrence déloyale.»

Les anciens résidants pénalisés

Le maire d'Amqui juge par ailleurs cette mesure inéquitable pour les anciens résidants des municipalités qui se trouvent à financer indirectement l'arrivée de leurs nouveaux voisins.

Excédé, Gaëtan Ruest a écrit en mars dernier au ministre des Affaires municipales pour dénoncer la situation. Dans sa réponse datée du 20 juillet, le sous-ministre Sylvain Boucher annonce qu'il compte rappeler à l'ordre l'ensemble des municipalités en leur rappelant les limites de leurs pouvoirs d'octroi de crédits de taxes.