Dans un geste chargé de sens qui a donné le ton à la journée, le grand chef de Kanesatake Serge Otsi Simon a offert ses condoléances à la soeur du policier Marcel Lemay, tué dans la pinède il y a 25 ans. On a en outre souligné la reprise des pourparlers entre la Ville d'Oka et la communauté de Kanesatake afin d'assurer une fois pour toutes la protection de la pinède et des terrains avoisinants.

Le 11 juillet 2015 n'aura pas seulement été la date du 25e anniversaire de la crise d'Oka. Il pourrait marquer le début d'une nouvelle ère à Kanesatake, là où le Grand Chef Serge Otsi Simon a exprimé samedi ses condoléances à la soeur du caporal Marcel Lemay, tué par balles durant le long conflit.

Après que Francine Lemay se fut adressée à la foule réunie dans la pinède de la communauté mohawk, le Grand Chef a pris le micro. « Je ne peux même pas imaginer ce qu'elle doit ressentir quand elle revient à l'endroit où elle a perdu son frère », a-t-il commencé.

« Cette perte, et la réconciliation qu'on essaie d'instaurer, vont lier sa famille et moi pour toujours. J'ai une opportunité très rare de donner mes condoléances à Mme Lemay pour son frère », a poursuivi le chef mohawk, avant d'offrir une accolade à la soeur du policier.

LES 25 ANS, UN POINT DE BASCULE

Le geste était lourd de sens. Il représentait ce qu'est devenu Kanesatake, dans les faits comme dans les esprits : une communauté qui tend désormais la main à ses voisins, et qui entame un processus de réconciliation.

Le 9 juillet, des discussions avec la ville voisine d'Oka ont commencé afin de protéger, une fois pour toutes, la pinède qui était au coeur du conflit. C'est la première fois en 25 ans que les communautés voisines abordent cette question de front.

« Durant la crise, on s'est unis. Après la crise, on s'est désintégrés », a illustré Serge Simon, pour expliquer l'état dans lequel la crise d'Oka a laissé son peuple. « Ma communauté était dysfonctionnelle. On n'était pas dans un état pour aller négocier, pour faire la paix. »

Le maire d'Oka, Pascal Quevillon, avait fait de la pinède un enjeu électoral, lors de la campagne qui l'a mené à la direction de la ville, en juin 2014. « On s'est entendus pour protéger la pinède », a-t-il dit à propos des premières discussions avec son homologue mohawk. Pour l'instant, les hommes politiques laissent de côté les questions les plus... épineuses. « Nous ferons appel à un médiateur si c'est nécessaire », a indiqué le chef Simon.

DE TERRORISTES À HUMAINS

Pour Francine Lemay, les 25 ans de la crise d'Oka marquent aussi le début d'une période de fierté pour les autochtones.

« On m'avait toujours présenté les Mohawks comme des terroristes. Je le croyais. [En 1990], on nous montrait des photos avec des gens armés, cagoulés », a-t-elle relaté. Par hasard, elle a rencontré des Mohawks, en 2004. « Des Mohawks compatissants », a-t-elle souligné. Des Mohawks qui lui ont, eux aussi, offert des condoléances.

C'était le début d'une grande histoire d'amitié entre Francine Lemay et des autochtones issus de diverses nations et communautés. La femme n'a gardé aucun lien avec les anciens collègues de son frère, qui était caporal à la Sûreté du Québec. Sa guérison, elle l'a vécue au contact des Mohawks.

« Aujourd'hui, les Premières Nations n'ont plus honte de se dire autochtones », a-t-elle observé. « Mon souhait pour Kanesatake, c'est que leur territoire leur soit redonné. Je souhaite la paix d'esprit à ceux qui ont encore de l'amertume et de l'animosité. Je souhaite qu'on fasse tomber les murs, les murs de haine. »

LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL ABSENT

Dans la foule de dignitaires, l'absence d'un représentant du gouvernement fédéral a été remarquée. Talonné depuis des mois afin qu'il lance une enquête nationale sur les 1200 femmes autochtones disparues ou assassinées depuis 30 ans, le gouvernement Harper souffre d'un déficit de popularité auprès de nombreuses collectivités autochtones. Notamment celle de Kanesatake, à en croire les commentaires de son Grand Chef, Serge Otsi Simon. « Je n'ai pas envoyé d'invitation au ministre fédéral [des Affaires autochtones, Bernard Valcourt], parce qu'on ne voulait pas le voir », a-t-il dit. Il a rappelé avec rancoeur la journée du dépôt du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, quand la foule s'est levée pour applaudir le président de la Commission, le juge Murray Sinclair, mais que le ministre Valcourt est resté assis. « Tout le monde s'est levé, et lui, il est resté assis dans sa chaise. Aussi bien nous sacrer une claque en arrière de la tête. Je ne voudrais pas l'avoir ici. J'aimerais même qu'il soit démis de ses fonctions », a lancé M. Simon.