Les simulations d'opérations militaires pratiquées au sein d'organisations civiles - des clubs d'airsoft, notamment - gagnent en popularité au Québec. Or ces activités peuvent attirer des individus radicaux en quête de savoirs techniques propices à la réalisation de leur projet d'attaque terroriste, met en garde un chercheur en criminologie de l'Université de Montréal qui s'intéresse aux questions de radicalisation.

Le chercheur Maxime Bérubé ne condamne pas la pratique récréative de ce genre de simulations. Les autorités auraient toutefois intérêt à mieux comprendre cet « univers marginal, complexe et dont l'accès est limité » pour tisser des liens avec leurs leaders, a expliqué le chercheur, invité à présenter son étude au séminaire Gangs et délinquance de l'Institut universitaire du Centre jeunesse de Montréal, plus tôt cette semaine.

« L'idée, c'est de créer des liens avec les personnes-clés de ces communautés-là, qui, elles, pourront lever un drapeau si un loup solitaire ou un groupe à risque s'inscrit à leurs activités. »

« Ces leaders-là ne veulent pas de gens radicaux dans leurs clubs, ça pourrait leur nuire et leur faire perdre la possibilité de pratiquer leur sport. »

Dans le cadre de son étude, M. Bérubé a mené des entrevues avec des représentants de 35 groupes qui organisent des simulations d'opérations militaires aux quatre coins du Québec en plus de passer une quinzaine de jours à les observer.

Lors de certaines simulations, les participants apprennent le maniement tactique d'armes à feu et autres engins explosifs. « C'est le genre de bain dans lequel les radicaux peuvent baigner, alors l'idée, c'était d'aller tester l'eau pour voir si ça pouvait représenter un risque ou pas », a expliqué le chercheur à La Presse en marge du séminaire.

Il y a bel et bien un risque, conclut le chercheur, qui y a observé une « banalisation de la violence et une désensibilisation à cette violence ». Cela peut avoir un impact sur le jugement moral des participants. « L'activité consiste à pointer quelqu'un et à tirer de manière répétitive, alors que les participants rationalisent ces actions en utilisant un vocabulaire qui ne décrit pas concrètement les gestes violents qu'il commettent », indique M. Bérubé.

Plus d'encadrement

Le « groupe des 18 de Toronto » - cette cellule terroriste démantelée en 2006 par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) - avait tenu deux camps d'entraînement dans la région de Toronto pour évaluer les qualités de ses recrues, rappelle le chercheur. Lors de ces camps, les terroristes auraient effectué des exercices avec un pistolet 9 mm et des pistolets de paintball sur un parcours à obstacles, en plus de visionner des vidéos djihadistes.

La comparaison s'arrête là, avertit toutefois M. Bérubé, puisque « le groupe des 18 » avait organisé un camp de manière fermée. Il ne faisait pas partie d'un club de simulations militaires ouvert à tous.

Le chercheur propose de mieux encadrer la pratique de ces simulations au Québec en exigeant l'obtention d'un permis prévoyant la réussite d'un test d'aptitudes avant de pouvoir s'y adonner.

M. Bérubé fait aussi une distinction entre « la gang de bureau » qui va jouer au paintball pour s'amuser une fois par année et ceux qui pratiquent l'airsoft. Ces derniers vont adopter un look militaire et modifier l'allure des armes pour qu'elles aient l'air réelles. « Ils sont plus hard core », décrit-il.

Ceci dit, les communautés de joueurs d'airsoft, qui comptent beaucoup de militaires et d'anciens militaires, note M. Bérubé, ont aussi des objectifs récréatifs. « Tous ceux que j'ai rencontrés me disaient : si quelqu'un vient ici pour acquérir des compétences pour commettre des actions violentes, il se met le doigt dans l'oeil. Quand ça va se mettre à tirer pour vrai, il va se rendre compte que ça n'a rien à voir. »

C'est pourquoi M. Bérubé pense que les autorités auraient d'autant plus intérêt à tisser des liens avec les organisateurs de ces simulations. « Quand on parle de radicalisation, c'est la clé d'avoir des liens dans les communautés pour que ce soit les communautés elles-mêmes qui dénoncent les éléments radicaux », conclut le chercheur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal.