Ils se sont rendus dans un hôtel de Dorval où on a fait miroiter à leurs enfants une brillante carrière à Los Angeles. Mais des dizaines de parents qui soutiennent les grandes ambitions de leurs petits sont sortis hier des auditions de ModelandTalent.tv avec de gros doutes. Et parfois, aussi, avec des milliers de dollars en moins. Inquiète, l'Union des artistes rappelle aux parents qu'ils ne devraient jamais payer pour avoir accès à des auditions.

La publicité, qui est passée à la radio pendant la semaine, a attiré des centaines de parents. On y évoquait des rôles chez Disney, une carrière internationale ou un accès à d'énormes plateaux de télévision au terme d'une fin de semaine d'auditions dans un hôtel de Dorval, à Montréal.

Comme bien d'autres, les parents de Simon Roch ont été accrochés. Ils se sont rendus dans l'hôtel, où une femme a déclaré à des centaines de parents qu'une famille avait investi tout son argent dans la carrière de sa petite de 5 ans et que ça avait fonctionné. Aux enfants, elle a remis des textes à mémoriser.

En soirée, le père de Simon, Stéphane Roch, a été étonné d'apprendre que son fils avait été retenu pour la deuxième ronde d'auditions de ModelandTalent.tv, une entreprise qui dit être basée à Las Vegas, au Nevada. L'audition de Simon ne s'était pas bien passée.

«J'aurais donné 3 sur 10 à mon fils», a concédé le père. Son adolescent «a beaucoup de talent», a-t-il assuré. «Mais ils avaient dit qu'ils sélectionneraient environ 25 personnes sur 3000, et ça ne me semblait pas réaliste.»

Des offres allant jusqu'à 8000$

Dans le message annonçant la sélection de Simon, l'entreprise encourageait les parents à consulter ses offres. Près de 2000$ pour un contrat de 3 mois à Montréal; 5900$ pour un accès à des rôles à l'international pendant 9 mois. Envie d'une année complète? L'option existe, et elle coûte 7900$.

En voyant les prix, Stéphane Roch s'est mis à douter. Il a entré le nom de Modelandtalent.tv dans un moteur de recherche. L'entreprise, qui se décrit comme un service de réseautage commercial lancé en 2006, est apparue dans quelques articles. En janvier, la chaîne CTV a consacré un reportage à des parents de Vancouver qui craignaient, au lendemain d'auditions, d'avoir été victimes d'une arnaque. En février, la chaîne CBC et le journal Métro ont décrit le même genre de situation, cette fois à Ottawa.

Hier, La Presse a accompagné Stéphane Roch et son fils en audition. L'adolescent de 13 ans n'avait pas appris son texte. Sa prestation a été médiocre. Mais ModelandTalent.tv n'y a vu que du feu. «Ton apparence est inhabituelle. Le potentiel est là», s'est exclamée la représentante de l'entreprise, qui a dit s'appeler Hannah Monroe.

La représentante a sorti le dépliant de l'entreprise et a expliqué que les offres les plus complètes (et les plus chères) étaient les seules qui valaient la peine d'être considérées. «L'industrie de la télé est à Los Angeles [...] Vous aurez accès à un meilleur réseau de contacts», a-t-elle assuré.

Au bout du compte, Hannah Monroe a offert un rabais à Simon parce qu'elle disait croire en lui. Pour 5900$, elle a proposé à son père de signer le contrat de 7900$ qui donnerait à son fils des accès à des auditions et des emplois partout dans le monde.

Des parents déçus et inquiets

Dans le hall de l'hôtel où avaient lieu les auditions, la présence de journalistes sur place a été ébruitée. Plusieurs parents ont renoncé à se rendre en audition. D'autres ont exigé de se faire rembourser les 3000$ américains (3700$ canadiens) qu'ils avaient payé pour promouvoir la carrière de leurs petits.

La Presse a parlé à plus d'une dizaine de familles. Elles s'étaient toutes fait offrir un prix spécial. Ici, un rabais de 2000$. Là, une représentante qui payait 3000$ de sa poche. En échange, ModelandTalent.tv leur a promis un accès à une banque de données listant les auditions de même que des rencontres par Skype avec des producteurs et des agences de casting.

Surtout, l'ensemble des enfants rencontrés avait été sélectionné après leur audition. «Ceux qui sont ici aujourd'hui le sont parce que nous avons trouvé qu'ils avaient quelque chose», ont riposté les représentantes, qui ont nié offrir des contrats à la totalité des enfants qu'elles voyaient en audition. Combien d'enfants ont-elles rappelés pour une deuxième audition le dimanche? «Les nombres ne sont pas importants», ont répondu celles qui se sont faites porte-parole de l'entreprise, qui n'apparaît pas dans le registre web des entreprises du Nevada.

Des contrats signés sous pression

Les parents ont aussi rapporté avoir été contraints de signer sous pression. «Si vous ne signez pas aujourd'hui, vous ne pourrez pas le faire avant que nous revenions en ville, et ça pourrait attendre deux ou trois ans», a affirmé la représentante Hannah devant l'hésitation du père de Simon. Elle a ajouté que dans le show-business, le temps était très important et que tout devait se faire très rapidement.

Le contrat, signé sur une tablette électronique, fait quatre pages et son contenu est entièrement en anglais. «Elle [la représentante] insistait pour que je signe sans lire», a souligné une mère, qui a fini par débourser près de 4000 dollars canadiens. Quand elle a exigé un remboursement, l'employée a menacé son fils. «Elle m'a dit que je n'aurais plus jamais de rôles ici», a raconté le petit.

Quand La Presse l'a affrontée, la femme, qui a dit s'appeler Gia Gianelli (et non plus Camryn J., comme elle l'avait annoncé la veille), est passée à une attitude défensive. «Bon, encore des journalistes qui vont dire que nous sommes des arnaqueurs», a-t-elle lancé.

«Vous êtes une nobody et je vous accorde du temps», a ajouté Gia. À la fin de la journée, elle a menacé la famille de poursuite pour avoir montré le contrat à des journalistes.

Hannah Monroe, qui avait affirmé en entrevue que ModelandTalent.tv était affilié à Disney, DreamWorks et Warner Brothers, entre autres, est revenue sur ses propos. Dans le passé, Disney a assuré ne pas faire affaire avec des agences qui exigent des paiements avant de fournir des services. «Affilié, ça veut dire que l'entreprise obtiendra le contrat...», a d'abord tenté de dire Hannah. «Peut-être que mes mots n'étaient pas les bons. Vous avez accès à des emplois qui viennent de ces studios», a-t-elle ensuite bafouillé.

La Presse a tenté de joindre ModelandTalent.tv à Las Vegas, sans succès.

Quand c'est trop beau pour être vrai

Les pratiques de ModelandTalent.tv ont fait sursauter l'ensemble des travailleurs de l'industrie de la distribution de rôles à qui La Presse a parlé. À commencer par Jessica Barker, qui dirige le comité Enfants-artistes à l'Union des artistes (UDA).

«Payer pour des auditions, ça n'a aucun sens dans l'industrie, a-t-elle affirmé. Et pour quelle raison des Américains viendraient-ils engager des enfants acteurs qui ne parlent pas anglais? Il y en a plein, des enfants acteurs aux États-Unis.»

Pour prévenir les abus, l'UDA planche sur le projet d'une fiducie qui doit être créée en janvier 2016. «On va retenir une partie du salaire de l'enfant, probablement autour de 20% du cachet, mais il reste encore des fils à attacher», avait annoncé à La Presse la comédienne Sophie Prégent, présidente de l'UDA, en avril.

«Pour qu'un enfant québécois puisse travailler aux États-Unis, il faudrait que la production arrive à prouver qu'elle n'a trouvé aucun autre enfant, américain, pour jouer le rôle», a aussi souligné Linda Cadieux, qui dirige l'agence artistique pour enfants Vesta depuis une vingtaine d'années. «Les chances que ça arrive sont très minces.»

De grosses boîtes comme ModelandTalent.tv débarquent au Québec tous les deux ans environ, selon elle. «Je connais des parents qui ont payé. Leur enfant a fait les cours, la formation. Il n'a obtenu aucun rôle, se rappelle Linda Cadieux. On lui a ensuite donné des adresses afin qu'il rencontre des producteurs aux États-Unis. Une fois sur place, les bureaux étaient vides.» L'histoire s'est terminée devant les tribunaux.

Quelques conseils

Linda Cadieux, de l'agence Vesta, et Geneviève Dunn, de l'agence Kiwi, connaissent très bien le milieu de la distribution de rôles pour les enfants. Voici les conseils qu'elles donnent aux parents dont les enfants veulent percer dans le show-business.

Surveiller les prix

«Au Québec, les prix ne dépassent jamais 500$ pour une représentation d'un an», atteste Linda Cadieux.

Ne jamais signer de contrat sous pression

«Surtout quand on n'a pas de garantie de suivi et qu'on doit payer immédiatement, sur place», ajoute Geneviève Dunn, qui est en mesure de détailler les frais qu'elle exige et de rembourser ses clients.

Se méfier des promesses de carrières internationales

«C'est le modus operandi de ce type d'entreprises, observe Geneviève Dunn. Il faut d'abord se concentrer sur le marché québécois.» Linda Cadieux est d'accord: seuls des acteurs avec un imposant bagage (pensez à Karine Vanasse) réussissent à percer aux États-Unis, et ils sont rares. L'accent québécois pose aussi problème, et il n'est pas aussi «vendeur» qu'on pourrait vous le faire croire.

Demander si l'agence est signataire d'une association

«Ce n'est pas une obligation [d'être signataire], mais il n'y a aucune raison pour ne pas travailler avec les conventions des unions, car ce sont elles qui protègent les enfants», souligne Linda Cadieux. Au pays, on retrouve l'Union des artistes et l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA).

S'informer sur la possibilité d'avoir accès aux breakdowns

Dans le jargon, on appelle breakdown un appel lancé par un producteur à la recherche de comédiens. Au Québec, il est possible d'avoir accès aux breakdowns (et, possiblement, aux castings) en faisant affaire avec une agence ou en s'abonnant au site Casting Workbook. Le service ne coûte pas plus de 200$.