De passage à Ottawa, la ministre française de la Justice a plaidé, jeudi, que la marginalisation causée par le racisme rendait certaines personnes plus vulnérables aux organisations terroristes.

Christiane Taubira sait de quoi elle parle: la politicienne noire a été la cible de plusieurs insultes racistes dans son propre pays. Bien qu'elle reconnaisse que la discrimination n'est pas une excuse ni une explication au terrorisme, elle peut selon elle «faciliter» le recrutement des terroristes - surtout sur Internet.

«C'est tellement facile pour les terroristes de dire »Tu seras important parce que tu seras très puissant; tu pourras tuer, et après tu seras satisfait«. Le lien est là. C'est facile de convaincre les jeunes qu'ils auront une meilleure vie dans le terrorisme», a-t-elle affirmé lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne à l'ambassade de France à Ottawa.

Mme Taubira a confié que les invectives racistes de ses compatriotes ont eu, au contraire, pour effet de la rendre plus forte: «Cela m'a rendue plus vigilante. Je comprends comment la société peut être si violente envers tellement d'autres gens qui ne sont pas aussi forts que moi. Je suis forte parce que je me suis longtemps battue.»

Elle a d'ailleurs cité en exemple la nomination du premier Noir au poste de chef de police de Toronto, Mark Saunders. Selon elle, M. Saunders peut inspirer plusieurs jeunes en quête de modèles.

Mme Taubira a rencontré jeudi les ministres de la Justice et de la Sécurité publique du Canada, Peter MacKay et Steven Blaney. La ministre a affirmé que le Canada et la France avaient tissé des liens importants dans la lutte contre le terrorisme alors que les deux pays ont subi des attaques perpétrées par des extrémistes dans les derniers mois.

Comme le Canada, la France a déposé une nouvelle loi antiterroriste à la suite des attaques meurtrières de Paris, au mois de janvier.

Mme Taubira a expliqué que les gouvernements devaient préserver l'équilibre entre la lutte contre le terrorisme et la protection des libertés civiles et des principes démocratiques. Si ces droits ne sont pas respectés, les terroristes auront gagné, a-t-elle tranché.

La ministre a canalisé les inquiétudes exprimées par les députés néo-démocrates et libéraux, à Ottawa, qui s'inquiètent du manque de surveillance des autorités.

«L'objectif des terroristes est de démontrer que la démocratie est un système faible. Nous devons leur prouver qu'il est fort (...) C'est difficile, parce qu'on est tentés de vouloir surveiller tout le monde, partout, tout le temps. Mais nous devons démontrer à nous-mêmes et aux autres que nous voulons préserver nos libertés individuelles», a-t-elle souligné.

Elle a d'ailleurs soutenu que le projet de loi français avait prévu des mécanismes pour protéger les citoyens ciblés par les enquêtes avant, pendant et après le processus.

La loi permettrait donc aux forces de l'ordre d'agir, mais en même temps, on s'assure qu'il n'y a pas de dérive, a-t-elle exposé. Les autorités seraient en mesure de fermer les sites Internet des extrémistes et de réagir rapidement aux menaces imminentes.

La ministre française sera de passage à Montréal vendredi, où elle rencontrera son homologue du Québec, Stéphanie Vallée, en matinée. En après-midi, elle prononcera un discours à l'Université de Montréal sur la protection des libertés individuelles et de la sécurité.