Loin de calmer le jeu, la ministre de la Famille, Francine Charbonneau, a mis de l'huile sur le feu, mercredi, en menaçant les CPE de sanctions s'ils s'avisaient de sabrer dans les services offerts aux enfants.

La veille, l'Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) affirmait que les nouvelles coupes budgétaires de 74 millions $ infligées aux CPE ne pourraient pas être absorbées sans diminuer les services directs aux enfants, incluant les repas qui leur sont servis quotidiennement.

Fidèle à son habitude, la ministre Charbonneau avait refusé de commenter la situation en entrevue mardi. Sur sa page Facebook, en soirée, elle a cependant jugé que la position défendue par l'AQCPE était «irresponsable et inacceptable».

La ministre juge que les CPE veulent faire passer «leurs intérêts avant ceux des enfants» et elle estime que, malgré les coupes annoncées jeudi dernier, les garderies auront les moyens de servir des repas et des collations aux enfants.

Mercredi matin, lors d'un bref point de presse, elle a cherché à rassurer les parents, en maintenant la ligne dure envers les dirigeants des services de garde, sommés de ne pas «priver les enfants de nourriture», sous peine de pénalités.

Elle a pris l'engagement que «le service aux enfants ne sera pas touché», invitant les CPE à puiser dans leurs surplus pour boucler leur budget.

En entrevue à La Presse Canadienne, mardi, le directeur général de l'AQCPE, Louis Sénécal, a été formel: en raison des nouvelles compressions imposées par Québec la semaine dernière, les services aux enfants seront touchés directement.

«Les gens qui m'appellent, c'est pour me dire que déjà ils ont pris des décisions de couper dans les repas», disait M. Sénécal. Mercredi, devant le tollé soulevé par ses commentaires, M. Sénécal a nuancé ses déclarations sur diverses tribunes pour dire que certains CPE se voyaient obligés de couper le petit déjeuner offert aux enfants à même le budget de la garderie, mais qu'il n'était pas question de ne plus servir de repas.

Le règlement visant les garderies subventionnées prévoit qu'elles doivent offrir le repas du midi et des collations santé.

Si les garderies renoncent à couper dans les repas, il leur reste peu de solutions de rechange.

Globalement, les CPE disposent de 177 millions $ de surplus, qui, de toute évidence, serviront en partie à combler le manque à gagner.

Ces surplus constituent un fonds de réserve notamment pour les urgences. Mais ils doivent surtout servir à financer la moitié des nouvelles installations prévues, comme l'a décrété Québec.

Le gouvernement ne s'y prendrait pas autrement s'il voulait nuire au développement du réseau des services de garde éducatifs, selon le député péquiste Mathieu Traversy. Le porte-parole de l'opposition officielle en matière de famille croit d'ailleurs que c'est là «le plan de match» du gouvernement qui met «le couteau sur la gorge» aux CPE, en vue de privilégier le réseau de garderies privées non subventionnées.

L'ampleur des coupes annoncées ne peut que se traduire par une baisse de services, selon lui.

Les divergences de vue autour de l'impact à venir des nouvelles compressions budgétaires illustrent la relation extrêmement tendue entre la ministre Charbonneau et les dirigeants du réseau des services de garde depuis un an.

Le réseau doit se prononcer mercredi sur la façon dont il attend absorber les coupes annoncées. La ministre a soumis quatre scénarios de financement, qui incluent l'utilisation des surplus.

Québec a imposé des compressions de 74 millions $ au réseau qui se répartissent comme suit: 49,5 millions $ aux CPE, 2,3 millions $ aux Bureaux coordonnateurs et 22,5 millions $ aux garderies privées subventionnées.

L'AQCPE reproche notamment au gouvernement d'appliquer les mêmes compressions à tous alors que certains CPE ont des surplus et d'autres pas.

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a dit qu'il fallait couper dans les structures du réseau, «pas dans les repas» aux enfants.

Un bâillon pour le projet de loi 28?

Pendant ce temps, tout indique que le gouvernement devra forcer l'adoption sous bâillon du projet de loi 28 avant longtemps.

En attendant, les parents gagnent ainsi un peu de répit par rapport à l'augmentation des tarifs de garderie, inscrite dans ce projet de loi.

La nouvelle formule de financement du réseau, modulée selon le revenu des parents, devait entrer en vigueur le 1er avril, mais c'est partie remise car le projet de loi n'est toujours pas adopté. Le nouveau tarif variera de 8 $ à 20 $ par jour.

Tout délai entraînera une perte de 35 millions $ par mois dans les coffres de l'État, a convenu mercredi le ministre des Finances, Carlos Leitao, en point de presse, pour illustrer l'urgence de la situation.

Seuls quelques articles ont franchi l'étape de l'adoption à ce jour. Il reste donc beaucoup de travail à faire.

«C'est un projet de loi important, on aimerait procéder le plus rapidement possible. Nous sommes prêts à collaborer, nous sommes prêts à avancer, mais le niveau d'incohérence de la part des oppositions, à mon avis, est quand même remarquable», a commenté M. Leitao, qui s'impatiente, en tenant pour acquis que l'opposition péquiste va tout faire pour faire obstruction à l'adoption du projet de loi 28.