Malgré les vents de 55 kilomètres à l'heure et la tempête qui sévissait, tôt dimanche à l'aéroport d'Halifax, «il était sécuritaire d'y atterrir», a déclaré le vice-président général et chef de l'exploitation d'Air Canada, Klaus Goersh, quelques heures après un accident qui a fait 25 blessés et dans lequel un passager québécois a eu bien peur de laisser sa vie.

L'Airbus A320, en partance de Toronto et avec 138 personnes à son bord, est sorti de piste dimanche vers 0h45 à son arrivée à Halifax, a confirmé la compagnie aérienne sur les réseaux sociaux, sans expliquer davantage le contexte de l'accident. En soirée, un seul des 25 blessés était encore hospitalisé.

Toute la journée, Air Canada a évoqué un «atterrissage brutal». «Un écrasement arrive quand un appareil ne se rend pas à la porte de débarquement», a déclaré Klaus Goersh lors d'un point de presse tenu à l'aéroport de Halifax. Or, l'Airbus A320 ne s'est jamais rendu à la porte, ont souligné des journalistes. «Il reviendra au Bureau de la sécurité des transports de le déterminer», s'est-il contenté de répondre.

«Il n'y a pas eu de moment où on s'est douté que ça allait mal», a relaté le passager Denis Lavoie. Après avoir annoncé que l'avion allait peut-être devoir se poser à Moncton en raison des conditions météorologiques, le pilote s'est ravisé et a déclaré que les conditions étaient meilleures à Halifax.

«L'avion s'est mis à descendre à une vitesse normale, mais il n'a pas ralenti quand on s'est approchés du sol, a poursuivi le Montréalais d'origine, qui travaille à Halifax. Tout d'un coup, il y a eu un choc. C'était comme si l'avion n'avait pas de roues: on a frappé tellement fort que j'ai eu l'impression que le bas de l'appareil avait cogné le sol.»

Du feu et des flammèches

Denis Lavoie a vu un moteur exploser. «Il y avait du feu et des flammèches, parce qu'on glissait sur la piste», a-t-il relaté. À ce moment-là, il a eu peur d'y laisser sa peau. «Je me suis dit: deux, trois secondes et on explose.»

Pourtant, la majorité des passagers et lui-même sont restés calmes. La Presse s'est entretenue avec une agente de bord d'Air Canada dont les collègues se trouvaient dans l'avion. Selon elle, l'évacuation de l'appareil s'est faite dans les 90 secondes réglementaires.

«Les agents de bord ont fait un excellent travail, a évalué Denis Lavoie. Il y en avait même une qui boitait et qui continuait d'aider les gens.»

Selon nos informations, deux des trois agents de bord étaient des Québécoises basées à Montréal.

Quant au pilote, il cumule 15 ans d'expérience avec Air Canada et connaît bien le A320, a assuré Klaus Goersh. Un porte-parole de l'aéroport d'Halifax, Peter Spurway, a d'ailleurs rappelé qu'il revient au pilote d'un appareil de déterminer s'il est sécuritaire, ou non, d'atterrir.

Encouragements et craintes

Dans le groupe Facebook fermé où plusieurs employés d'Air Canada ont l'habitude d'échanger, des centaines de personnes ont envoyé félicitations et encouragements à l'équipage du vol 624.

Mais plusieurs ont souligné que l'accident accentue les craintes qui animent les employés du transporteur canadien depuis des semaines.

En août, Transports Canada a autorisé Air Canada à suivre un ratio de 1 agent de bord pour 50 sièges passagers. «Avant, c'était 1 agent de bord pour 40 personnes», a souligné l'employée à qui nous avons parlé. Cette dernière n'a pas pu s'identifier, car le Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente les employés d'Air Canada, a formellement interdit à ceux-ci de s'adresser aux médias.

L'inquiétude est montée d'un cran jeudi quand la ministre fédérale des Transports, Lisa Raitt, a rendu obligatoire la présence de deux membres d'équipage dans la cabine de pilotage des avions, et ce, en tout temps. En réagissant ainsi aux révélations à propos de l'écrasement d'un appareil A320 de Germanwings, en France, elle a soulevé la crainte, chez les agents de bord, de se retrouver seul avec l'ensemble des passagers d'un appareil.

«Dans l'Embraer [E90], nous sommes deux agents de bord. Si l'autre est dans le cockpit, je ne peux pas ouvrir la porte d'urgence si c'est nécessaire, a souligné l'agente de bord. Sur les gros-porteurs, comme le 787, il y a carrément une sortie [de secours] où il n'y a pas d'agent de bord.»

La ministre Raitt a commenté la situation dans un courriel envoyé à La Presse. «Les transporteurs aériens des États-Unis et de l'Europe ont recours à ce ratio quotidiennement, y compris lorsqu'ils occupent l'espace aérien canadien. L'Organisation de l'aviation civile internationale reconnaît que ce ratio assure le même niveau de sécurité», a écrit une porte-parole de la ministre.

Une longue attente pour les secours

Si Denis Lavoie est satisfait du travail des agents de bord d'Air Canada, il a une tout autre perspective de la gestion de crise de l'aéroport d'Halifax.

Les passagers évacués, qui avaient parfois laissé chaussures et manteau dans l'appareil, ont dû attendre 50 minutes avant d'être transportés au chaud. Comme bien d'autres, Denis Lavoie s'est serré contre les autres passagers, notamment contre un homme dont le front était fendu parce que ses lunettes s'étaient fracassées au moment de l'atterrissage, quand sa tête a heurté le siège devant lui.

Chez Air Canada, l'agente de bord à qui nous avons parlé a expliqué que le pilote n'avait pas déclaré l'urgence, possiblement parce qu'il s'attendait à ce que l'atterrissage se passe bien. «C'était un atterrissage normal, alors il n'y avait pas d'autobus qui attendaient au bout de la piste. Mais quand un pilote déclare une urgence, alors là, les secours attendent sur place», a-t-elle assuré.

Les passagers ont ensuite été transportés dans un hangar où il faisait noir, puisque l'aéroport d'Halifax était touché par une panne d'électricité au moment de l'accident. Il demeure difficile de savoir s'il y a un lien entre la panne et la sortie de piste de l'avion, puisque le porte-parole de l'aéroport, Peter Spurway, n'a pas souhaité le préciser. Au moment de l'accident, l'aéroport fonctionnait avec des générateurs, et les pistes d'atterrissage étaient éclairées.

Comme bien d'autres, Denis Lavoie a laissé toutes ses affaires dans l'avion quand il a dû l'évacuer. Il tente à présent de savoir s'il pourra les récupérer, mais il est sans nouvelles. « J'ai appelé la ligne "super élite" et on m'a dit qu'on allait me revenir. Je suis chanceux, parce que contrairement à d'autres, je suis "super élite" », a laissé tomber celui qui voyage fréquemment.

PHOTO DENIS LAVOIE

Les passagers ont attendu une cinquantaine de minutes dans la tempête de neige avant d'être pris en charge.