Alors que le gouvernement Harper s'apprête à honorer la mémoire de Maurice Richard en donnant son nom au nouveau pont sur le Saint-Laurent, le président français François Hollande s'est permis de rappeler le rôle crucial qu'a joué Samuel de Champlain dans la fondation du Canada.

Dans un discours devant le Parlement, hier, le président français a mis son grain de sel dans la controverse qui a éclaté en fin de semaine après que La Presse eut révélé que le gouvernement Harper compte rebaptiser «pont Maurice-Richard» l'infrastructure qui remplacera l'actuel pont Champlain.

Cette décision doit être annoncée le 9 décembre par le ministre des Affaires intergouvernementales, Denis Lebel - le 9 étant aussi le numéro que portait Maurice Richard lorsqu'il évoluait pour le Canadien de Montréal. «Aucune décision n'a été prise concernant le nom du nouveau pont. La priorité demeure actuellement la construction d'un pont qui sera ouvert à la circulation en 2018», se contente de dire Vincent Rabault, porte-parole de M. Lebel. Dans l'entourage du ministre, on reconnaît que ce dernier, publiquement comme en privé, n'a jamais caché son désir de voir la mémoire de Maurice Richard ainsi honorée. Après le reportage de La Presse, samedi, le ministre a fait savoir au fils du Rocket, Maurice Jr, qu'il aurait sous peu à lui passer un coup de téléphone.

Dans son discours au Parlement, hier, le président Hollande a insisté pour souligner l'apport de l'explorateur de Brouage. «Il y a tout juste 400 ans, un Français originaire des Charentes, Samuel de Champlain, remontait le Saint-Laurent depuis l'océan et fondait un nouveau pays, votre pays. Il fut le premier gouverneur général du Canada.»

L'intention du gouvernement Harper a aussi eu des échos dans la presse française. Le quotidien Le Figaro s'est insurgé contre cette décision, estimant qu'il s'agissait d'un «camouflet» de la part du premier ministre Stephen Harper à l'endroit du président français. «À la veille de la venue du président de la République français au Canada, le gouvernement dirigé par Stephen Harper a décidé de rebaptiser le pont Champlain, à Montréal, en pont Maurice-Richard, du nom d'un joueur de hockey populaire. Le Français Samuel de Champlain, fondateur de Québec en 1608, passe à la trappe, alors même que François Hollande a choisi de se rendre dans la très francophobe Alberta. Un symbole fort», peut-on lire dans le quotidien.

Hier, le maire Denis Coderre marchait sur des oeufs, conscient que ces opérations peuvent vite déraper - le projet de rebaptiser l'avenue du Parc au nom de Robert Bourassa, à l'époque de Gérald Tremblay, avait lamentablement échoué. L'opération plus récente de rebaptiser un segment de la rue University avait fait davantage consensus.

«J'ai connu Maurice Richard dans les dernières années de sa vie. Il est plus qu'un ancien joueur de hockey, c'est un héros. Il représente l'émancipation des francophones», a soutenu le maire, en point de presse. Dans le cas du pont Champlain, «c'est le fédéral qui décide. Moi, je ne me battrai pas. Maintenant, je trouve ça triste qu'on tente de créer une controverse».

«J'aurais personnellement gardé le pont Champlain, parce que ce n'est pas un nouveau pont, a-t-il reconnu. «Je trouve ça dommage et triste qu'on en soit rendu là, à faire un choix entre Maurice Richard et Samuel de Champlain. Le Rocket ne mérite pas de controverse. C'est un de nos grands héros et c'est une personne d'une grande inspiration», a-t-il ajouté. De l'autre côté du fleuve, Paul Leduc, maire de Brossard, est du même avis. «Je pense qu'il faut honorer Maurice Richard, tout le monde l'aime, mais pas de cette façon. Champlain a un aspect historique.»

«La fierté des Québécois!»

«Mon père représentait la fierté des Québécois, leur détermination!», a souligné le fils de M. Richard, Maurice Jr, joint par La Presse hier. «Si mon père était vivant, je suis certain qu'il n'aimerait pas que cela tourne à la controverse, que cela devienne un enjeu politique! On semble vouloir rabaisser mon père à un simple joueur de hockey, comme s'il n'avait pas eu d'influence sur le cours du Québec! Il a joué un rôle dans le Québec des années 50, il représente la fierté d'être Québécois, le désir de se battre pour ce que l'on croit!»

Le fils du hockeyeur déplore également que le choix du futur pont sur le Saint-Laurent se fasse de cette façon. «On aurait voulu que ça se fasse dans l'harmonie. Malheureusement, ce n'est pas le cas. On va espérer que les gens se calment», conclut-il. On a déjà offert de nommer une partie de l'autoroute 50, dans l'Outaouais, en hommage à M. Richard, un projet qui ne s'est jamais réalisé, déplore-t-il. Le nom de Champlain est déjà inscrit, de manière durable, dans le territoire québécois: la Commission de toponymie du Québec recense plus de 190 endroits qui rappellent le souvenir de l'explorateur de Brouage.

Claude Bonhomme, membre du conseil municipal de Hull à l'époque, se souvient bien du projet: c'est lui qui l'avait mis de l'avant. «Le ministre de la région, Sylvain Simard [PQ)] avait dit: "C'est une bonne idée, mais il vaudrait mieux attendre que l'autoroute soit complétée." Finalement cela n'est jamais arrivé...» En revanche, le gouvernement Chrétien avait vite vu l'occasion: «Sheila Copps avait annoncé et inauguré une imposante statue de Maurice Richard au parc Jacques-Cartier, à Hull, ils n'avaient pas niaisé avec la puck!», résume-t-il.

Aux Communes, le député néo-démocrate de Rivière-du-Nord, Pierre Dionne Labelle, a dénoncé les velléités des conservateurs. «Champlain, c'est le fondateur de la ville de Québec, mais c'est surtout le père de la Nouvelle-France. [...] Tenter d'effacer Champlain de notre mémoire collective, c'est minimiser la contribution des francophones au développement de l'Amérique», a-t-il dit.

- Avec Hugo Pilon-Larose