En 1994, 53 membres de l'Ordre du temple solaire (OTS) mouraient dans des suicides collectifs mêlés à des massacres prémédités. Dans les années qui ont suivi, 21 autres adeptes allaient connaître un sort similaire. Vingt ans plus tard, le Québec demeure une terre d'accueil pour les sectes européennes, estime Paris.

Vingt ans après le «début de la fin» de l'Ordre du temple solaire (OTS), le Québec demeure une terre d'accueil pour les sectes et leurs gourous, selon l'organisme public chargé de lutter contre les dérives sectaires sur le territoire français.

La tolérance des autorités d'ici envers ces groupes leur fournirait une porte de sortie rapide lorsqu'ils sentent la soupe chaude en Europe.

«On a beaucoup de mauvais sujets qui s'échappent au Québec. Soyez vigilants», avertit Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). La création de cet organisme officiel coïncide avec les tueries de l'OTS, qui ont fait 74 morts au milieu des années 90.

Selon M. Blisko, le Québec et le Canada constituent des terres fertiles pour les mouvements sectaires en tous genres «parce que la législation est plus souple». De façon générale, les pays européens - surtout la France - se sont donné des lois pour surveiller ces groupes, alors que l'Amérique du Nord considère la liberté religieuse comme sacrée.

De plus, «ils jouent beaucoup sur le fédéralisme canadien en passant d'une province à l'autre», affirme M. Blisko. «Regardez avec la secte hassidique des Lev Tahor: on passe du Québec à l'Ontario et après on file ailleurs. Ils sont très habiles.»

«On essaie d'éviter de condamner les mouvements.» M. Blisko reprend ainsi les constats de son organisme. La MIVILUDES s'étonnait, en 2011, qu'«il n'existe au Québec aucune position officielle du gouvernement à l'égard des mouvements à caractère sectaire et aucun ministère n'est chargé des risques liés aux dérives sectaires».

«Le seul outil de lutte contre ces dérives est une association indépendante», continue la MIVILUDES en parlant de l'organisme Info-Secte.

Frédérique Bonenfant, chercheuse au Centre de ressources et d'observation de l'innovation religieuse (CROIR) de l'Université Laval, souligne en entrevue que «les approches françaises sont très différentes des approches québécoises».

«Au Québec on essaie d'éviter de condamner les mouvements, on essaie plus de condamner certains gestes, certaines pratiques, a-t-elle expliqué. On essaie de diffuser l'information le plus juste possible.»

Recommandations demeurées lettre morte

Le coroner Yvon Naud avait enquêté sur le dernier suicide collectif de l'OTS à Saint-Casimir-de-Portneuf, en 1997. Dans son rapport, il ne faisait qu'une recommandation: la mise sur pied d'un organe public d'information sur les mouvements sectaires, afin que les Québécois qui voudraient intégrer un groupe du genre puissent recevoir une information neutre sur le sujet.

«Ça ne s'est pas concrétisé», a indiqué le Dr Naud en entrevue avec La Presse, la semaine dernière, ajoutant être «déçu». Il faut que les autorités puissent «avertir le public, afin qu'il soit plus au courant de ce qui peut faire qu'une secte soit plus dangereuse qu'une autre», a-t-il dit.

Son collègue Roger Michaud, responsable de l'enquête sur le suicide collectif de Morin-Heights, recommandait pour sa part que la police se tienne informée des évolutions dans le monde des sectes. Les renseignements policiers «devront distinguer, pour chaque mouvement, l'organisation mère des différentes filiales, soit officielles, soit masquées», écrivait-il. M. Michaud est mort depuis.

Pas d'escouade spécialisée

De son côté, la Sûreté du Québec (SQ) a indiqué à La Presse que même si elle n'a pas d'escouade consacrée aux mouvements sectaires, ses policiers tiennent quand même ces groupes à l'oeil lorsqu'ils soupçonnent que des infractions peuvent s'y commettre.

«Le service des enquêteurs sur la menace extrémiste, le service des enquêtes régionales et le service des crimes contre la personne» peuvent être appelés à enquêter sur des dérives sectaires, a indiqué Mélanie Dumaresq, porte-parole du corps de police.

La policière a souligné que la mission de la SQ était de «prévenir le crime» et «de traduire les personnes qui commettent des infractions criminelles devant les tribunaux». Les groupes spirituels considérés comme inoffensifs ne tombent donc pas sous sa juridiction.

Le porte-parole de la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a rappelé que la liberté de culte des Québécois est protégée par la Charte des droits et que la lutte contre les dérives sectaires est un enjeu délicat.

«On doit assurer un juste équilibre entre le respect des droits des individus - prévus dans la Charte - et la sécurité de la population», a fait valoir Jean-Philippe Guay.

«Nos autorités concernées - j'inclus le Ministère, la SQ et tous les corps de police - sont à l'affût des phénomènes susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique», a-t-il ajouté.