Les Québécois ont été nombreux à sursauter, cette semaine, en apprenant que la fortune personnelle d'Eddy Savoie se chiffre à 1,5 milliard de dollars, ce qui le place 12e parmi les personnalités les plus riches du Québec. Parti de rien, Eddy Savoie a mis sur pied un véritable empire des résidences pour les gens du bel âge, comme il aime si bien le dire. Portrait du propriétaire controversé des Résidences Soleil.

«Eddy pourrait avoir une roulotte de 1,5 million. Mais non. Il n'en a pas. Il a juste une maison.»

Gilles Bellavance, fondateur du festival country du camping de Sainte-Madeleine, a connu Eddy Savoie sur les chantiers de construction de Montréal il y a plus de 30 ans. Ils sont amis depuis. Il décrit l'homme d'affaires controversé comme un travailleur acharné. Et un homme simple malgré sa fortune.

Chaque été depuis 15 ans, Eddy Savoie se rend d'ailleurs au camping Sainte-Madeleine pour assister au festival country, une musique «qu'il écoute, mais qu'il ne danse pas». «J'aime le country. Ça raconte des histoires. C'est relaxant», lance M. Savoie.

Eddy Savoie est né le 13 novembre 1943 dans le petit village de Kedgwick, au Nouveau-Brunswick. Deuxième d'une famille de huit enfants, dont quatre morts en bas âge, Eddy Savoie grandit dans un milieu plutôt pauvre. «Mon père était bûcheron et ma mère tenait un petit dépanneur à la maison», raconte M. Savoie en entrevue à La Presse.

À 15 ans, Eddy Savoie doit quitter le domicile familial pour aller à Montréal. «Comme plusieurs familles de l'époque, ce n'était pas évident pour nos parents de nourrir tous les enfants», dit-il.

Il trouve un emploi dans une manufacture. Il fabrique des boucles de ceinture pour un maigre salaire de 35 cents par jour. Le soir, il étudie la plomberie.

À peine un an plus tard, il se fait engager comme apprenti. À 20 ans, Eddy Savoie obtient enfin ses licences de plombier. «Je faisais de petits jobs. Surtout de rénovation.»

En 1964, M. Savoie crée sa propre entreprise de plomberie: Savoie Construction. Il achète un camion et réalise des contrats de plus en plus importants.

Il travaille six jours sur sept. Encore aujourd'hui, il ne dort que trois heures par nuit.

Matin et soir à 70 ans passés, il fait un petit jogging de 20 minutes et quelques pompes pour garder la forme: «Je me suis toujours amusé beaucoup et je m'amuse encore beaucoup.»

À l'âge de 21 ans, en visite chez ses parents au Nouveau-Brunswick, il tombe amoureux de Carmelle Ouellette, amie de sa soeur. «Dès que je l'ai vue, j'ai su que c'était elle, dit-il. Ça fait 46 ans qu'on est marié. On n'a pas encore eu une seule chicane.»

Eddy Savoie rentre à Montréal avec sa copine, qu'il épouse quelques années plus tard. À 25 ans, il devient père pour la première fois. Quatre enfants suivront la naissance de l'aînée, Nataly. Tous sont aujourd'hui impliqués dans l'entreprise.

«Eddy et sa femme, ils font tout pour leurs enfants», estime Gilles Bellavance.

La première résidence

Quand Eddy Savoie atteint 28 ans, il lance son entreprise d'entrepreneur général.Il construira un agrandissement à l'hôpital Royal-Victoria, à Montréal.

Vers la fin des années 70, les parents d'Eddy Savoie s'installent chez lui, à Mont-Saint-Hilaire. Ils y resteront 10 ans, jusqu'au jour où le père de M. Savoie demande plus de soins.

Eddy Savoie visite des résidences, mais aucune n'offre tous les services voulus. Il décide donc de construire sa première résidence pour aînés à Boucherville.

Un matin, en route vers le chantier, M. Savoie réfléchit au nom qu'il veut donner à la résidence. Le soleil plombe à travers son toit ouvrant. Les Résidences Soleil étaient nées.

«Je ne pensais vraiment pas faire d'autres résidences du genre. On a travaillé vraiment fort sur ce premier projet. Les Québécois ne voulaient pas vraiment de ce produit à l'époque. Puis on a pris contact avec moi pour en faire une à Sorel. Puis Sherbrooke...»

La suite est maintenant connue. M. Savoie possède 14 Résidences Soleil partout au Québec et évalue son patrimoine familial à 1,5 milliard de dollars.

En marchant dans les couloirs de sa résidence de Boucherville, M. Savoie salue tous les résidants. Il répète à toutes les femmes qu'elles ont un magnifique sourire.

Voyant le photographe et la journaliste qui accompagnent M. Savoie, une résidante se fait menaçante: «Faites attention à lui, là!»

M. Savoie est apprécié de plusieurs de ses clients. Quand il entre dans les salles à manger de ses résidences, il se fait régulièrement applaudir. «M. Savoie a monté une entreprise familiale qui a beaucoup de succès. Il faut le saluer», affirme la mairesse de la municipalité de Sainte-Julie, Suzanne Roy.

L'homme d'affaires participe à une douzaine d'événements chaque année en tant que président d'honneur et dit donner entre 400 000 et 500 000 $ à différentes causes.

Il y a trois ans, le sculpteur Jean-Pierre Busque a été appelé par le Salon des générations à réaliser un buste en bronze de M. Savoie. «C'était pour souligner le fait que M. Savoie offre le loyer gratuit à ses locataires centenaires», explique M. Busque.

Gilles Bellavance confirme que son ami n'a jamais ralenti la cadence. «Il n'a pas le temps de prendre une semaine de vacances. Le téléphone sonne tout le temps», dit-il.

Eddy Savoie précise: il prend parfois une semaine de vacances. Mais pas plus. Il a cependant plus de 50 croisières à son actif. «Mais là, je vais peut-être ralentir un peu. Carmelle aimerait ça.»

Dure semaine

Enlaçant sa femme par les épaules, Eddy Savoie marchait dans le palais de justice de Longueuil, mardi. En début de semaine l'homme d'affaires, après avoir été reconnu coupable de poursuite-bâillon contre la fille d'une ancienne résidante, a été obligé de divulguer publiquement sa fortune personnelle, soit un actif net de 1,5 milliard.

Quand M. Savoie est sorti de la salle d'audience, sa femme Carmelle Ouellette et l'une de ses filles l'attendaient, portant fièrement une épinglette dorée soulignant les 25 ans d'existence des Résidences Soleil.



Groupe Immobilier Eddy Savoie - Résidences Soleil

Eddy Savoie, président

Carmelle Ouellette, épouse et vice-présidente

Eddy Jr, fils et président exécutif - volet construction

Nataly, fille et présidente exécutive

Janet, fille et directrice

Nancy, fille et directrice

Nadine-Coïne, fille et directrice

Résidences au Québec : 14 (+ Hôtel Plaza Montréal en cours de transformation)

1 CHSLD privé à Saint-Lambert

Création : fin 1988

Siège social : Boucherville

Logements : 4400

Employés : 2000

Résidants : 7000

Modèle d'affaires

Construction, gestion et détention de résidences privées de personnes âgées pouvant atteindre jusqu'à 725 unités, permettant ainsi des économies d'échelle sur le prix des services offerts, ce qui se traduit par des loyers concurrentiels.

Propriétaire à 100 % de ses résidences dans une industrie où la plupart de ses concurrents comptent sur l'appui d'investisseurs privés et institutionnels.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Un rude négociateur

La création du CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf a marqué un tournant dans l'image publique de M. Savoie. Avant le lancement de cette institution, les Résidences Soleil étaient surtout connues pour leur chanson publicitaire accrocheuse. Eddy Savoie, quant à lui, n'avait fait que quelques apparitions dans les médias comme chroniqueur, à la fin des années 90, à l'émission Y'a plein de soleil, animée par Shirley Théroux et Tex Lecor.

Mais en remportant le premier contrat de CHSLD en PPP du Québec, Eddy Savoie a fait parler de lui à plusieurs reprises dans les journaux. Ses dons au Parti libéral ont fait les manchettes. Les syndicats ont vertement dénoncé la qualité des soins offerts au CHSLD. Puis M. Savoie a été reconnu coupable de poursuite-bâillon contre Pierrette Thériault-Martel, qu'il poursuivait en diffamation pour 400 000 $.

Dans le milieu syndical, M. Savoie est perçu comme un dirigeant «dur». Environ 75 % de ses résidences sont syndiquées. «Eddy Savoie est ferme. Il ne donne rien. Il est plus dur que les autres entreprises comparables du milieu», estime Jean Chartrand, président de la section 106 des Teamsters qui représente plusieurs travailleurs des Résidences Soleil. «On a environ 80 griefs qui traînent dans ses résidences, souvent pour des peccadilles.»

M. Savoie est entre autres réputé pour ne pas vouloir accorder de prime de nuit aux travailleurs, car il estime que ces gens optent pour cet horaire «par choix». Les augmentations de salaire des préposés aux bénéficiaires sont aussi âprement négociées; M. Savoie soutient qu'il s'agit d'une vocation, selon les syndicats.

À Sherbrooke, le président du Syndicat des travailleurs des centres d'hébergement privés de l'Estrie (CSN), Luc Poirier, estime que le taux de roulement du personnel dans les Résidences Soleil est élevé, car les conditions de travail sont «moyennes».

Dans un rapport sur le CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf diffusé au début du mois d'avril, l'agence de la santé de la Montérégie affirme que la qualité des soins au CHSLD est bonne, mais note que le taux de roulement du personnel est inquiétant.

«Sans émotion»

Différentes personnes s'étant retrouvées devant les tribunaux contre l'homme d'affaires au cours des dernières années qualifient M. Savoie de «suffisant» et «sans émotion».

Certains diront plutôt que l'homme d'affaires est si concentré sur le succès de son entreprise qu'il ne perçoit pas toujours la réalité. Paul-Christian Nolin, attaché de presse du maire de Québec, Régis Labeaume, a d'ailleurs une anecdote qui illustre ce propos.

Après avoir acheté l'hôtel Loews Le Concorde à Québec en mars dernier, M. Savoie a eu un entretien avec le maire. «À sa sortie de la rencontre, M. Savoie a dit aux journalistes qu'il était certain à 99,9 % qu'une résidence pour aînés verrait le jour au Concorde. Mais durant la rencontre, le maire avait dit exactement le contraire, soit qu'il n'en voulait pas!»

L'avocat Jean-Pierre Ménard, qui défend Mme Thériault-Martel, a la même perception d'Eddy Savoie. «Le juge a dit en septembre que M. Savoie a détourné les fins de la justice pour faire taire Mme Thériault-Martel. M. Savoie ne l'a pas compris comme ça et ne l'accepte pas. Il persiste à penser que sa vision est la bonne. J'admire un homme qui a réussi. Mais j'admire moins un homme qui écrase les plus faibles.»

M. Savoie assure quant à lui qu'il a le plus grand respect pour les gens du bel âge -, car jamais il ne parle de «personnes âgées» ou «d'aînés». «On est vieux à 110 ans. Avant, on parle de gens du bel âge», dit-il.

Photothèque La Presse

Eddy Savoie a lancé sa première résidence pour aînés en 1988, à Boucherville.