En vertu d'un changement de règlement qu'il a réclamé au gouvernement péquiste, l'animateur Joël Legendre a pu avoir recours à une mère porteuse québécoise dont le traitement de fertilité a été remboursé par l'État, un précédent pour un couple d'hommes gais.

« Grâce à une femme extraordinaire qui a décidé d'accueillir en elle deux minuscules embryons, grâce aux avancées technologiques exceptionnelles et grâce à mon amoureux qui avait ce désir [...], je serai avec lui à nouveau papa », a écrit M. Legendre, annonçant sur Facebook qu'il attendait des jumelles au cours des prochains mois, lui qui est déjà père d'un enfant adopté à l'étranger.

Depuis, silence radio. « Joël n'accordera pas d'entrevues à l'exception de Tout le monde en parle dimanche », nous a écrit hier son conjoint, Junior Bombardier.

En entrevue à La Presse, l'ex-ministre Jean-François Lisée dit avoir transmis à Réjean Hébert, ministre de la Santé d'alors, la lettre que lui avait remise Joël Legendre, dont il était le député, dans laquelle il demandait une modification à la loi.

M. Lisée ajoute qu'il a fait cheminer la demande à Réjean Hébert, lequel a indiqué qu'il se penchait justement sur cette question du remboursement des traitements de fertilité au bénéfice d'hommes gais. « J'ai ensuite eu un courriel de Joël Legendre me disant qu'il était très heureux du changement opéré au règlement », poursuit M. Lisée.

Photo archives La Presse

Joël Legendre

Selon le Dr François Bissonnette, le mot s'est probablement passé dans la communauté gaie sur cette nouvelle possibilité.

Se disant libre de parler étant donné que Joël Legendre a lui-même publié la nouvelle, le Dr Bissonnette explique que le couple Legendre-Bombardier s'est présenté à la clinique Ovo en ayant déjà sa mère porteuse québécoise et son don d'ovules provenant aussi d'une Québécoise (sans préciser s'il s'agit de la même personne).

Ayant demandé au ministère de la Santé qui devait payer l'intervention, le Dr Bissonnette raconte que la réponse est venue très rapidement. « On s'est fait répondre que c'est comme pour un couple femme-femme, que c'est couvert » et qu'il fallait utiliser la carte d'assurance maladie de la mère porteuse.

Surpris par cette réponse, le Dr Bissonnette s'est fait redire par la fonctionnaire : « Faites-le, c'est couvert, on discutera après. »

« Dans la société, il y a des gens plus influents que d'autres qui sont capables de faire bouger les choses », avance le Dr Bissonnette, ajoutant qu'il n'avait pas été témoin d'une intervention directe du ministre, mais qu'il avait été en contact avec son attaché de presse.

PRINCIPE DE NULLITÉ DU CONTRAT

Fait à noter, le recours à une mère porteuse non rémunérée n'est pas illégal au Québec, mais tout contrat entre elle et un couple est ici considéré comme nul. Ainsi, le couple qui verrait par exemple une mère porteuse changer d'idée n'est nullement protégé, pas plus que la mère porteuse qui verrait le couple refuser de prendre le bébé au terme de la grossesse.

Par prudence, les hommes gais désirant être pères ont ainsi préféré ces dernières années aller dans d'autres provinces ou à l'étranger.

Au ministère de la Santé, Stéphanie Ménard, relationniste de presse, soutient que le programme de procréation assistée s'adresse toujours seulement aux femmes.

Cela dit, relève-t-elle, une femme s'étant entendue avec un couple d'hommes gais pour porter son enfant pourrait voir ses traitements remboursés si son état psychologique est jugé adéquat et si elle est détentrice d'une carte d'assurance maladie.

Cette histoire fait sursauter Alain Roy, professeur titulaire à la faculté de droit à l'Université de Montréal. Au départ, dit-il, le programme de procréation assistée s'adressait aux femmes seules et en couple, ce qui, implicitement, signifiait que les enfants n'étaient pas conçus pour des tiers.

À la base, il serait urgent à son avis de faire un grand débat pour voir si l'utilisation d'une mère porteuse est aujourd'hui socialement acceptable. « Est-on prêt à vivre aujourd'hui avec le risque que le corps de la femme soit instrumentalisé ? Que les plus vulnérables d'entre elles prêtent le flanc à une forme d'exploitation ? Peut-être que les valeurs et les moeurs ont évolué, ça reste à voir, mais tant et aussi longtemps que le législateur ne sera pas intervenu, il faut vivre avec le principe de nullité prévu au Code civil et y attacher les conséquences qui en découlent. »

UTILISATION DU CORPS DES FEMMES

Laurent McCutcheon, qui a longtemps été le porte-parole de Gai Écoute, se réjouit de « cette nouvelle option offerte aux hommes gais désireux d'être pères ».

Il ajoute cependant que tout l'aspect légal de la chose suscite chez lui des interrogations.

Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme, rappelle que le Conseil a dans le passé « émis des réserves sur la question des mères porteuses. C'est une utilisation du corps des femmes qui n'est pas sans danger. Aux États-Unis, où cette pratique est légalisée, ce sont le plus souvent des femmes pauvres qui vendent ainsi leur utérus ».

La Dre Margaret Somerville, directrice fondatrice du Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill, s'oppose au recours à des mères porteuses, surtout quand il ne s'agit pas de cas de proches parentes qui s'entraident quand l'une ou l'autre est infertile. En général, dit-elle, les bébés issus de mères porteuses « deviennent des produits manufacturés que l'on coupe sciemment de tout contact avec leurs racines et leur identité génétique et qui, au surplus, n'ont souvent pas de mère biologique ».

L'ex-ministre Réjean Hébert n'a pas rappelé La Presse. La Régie de l'assurance maladie nous a dit que seul le ministère de la Santé pouvait répondre à nos questions.