Comment se déroule une campagne électorale du point de vue d'un chef de parti? Pour le savoir, nous avons demandé aux quatre chefs d'admettre notre journaliste, l'espace d'une journée, à bord de leur autocar de campagne. Vendredi dernier, au lendemain du débat des chefs, nous sommes montés à bord de celui de Pauline Marois. Récit d'une journée bien remplie, à la manière d'un compte rendu sur Twitter.

TWEET nº 1

Le retour au pouvoir des libéraux serait un «cauchemar», dit Pauline Marois. #messagedujour

En ce lendemain de débat, le Parti québécois a sorti son «trio de choc». La chef arrive pour un point de presse à Longueuil flanquée de Pierre Karl Péladeau et de Bernard Drainville. Message du jour: le retour au pouvoir des libéraux serait un «cauchemar». Pas une seule fois le mot souveraineté n'est prononcé dans ce point de presse... sauf par les journalistes, évidemment.

Avec la période de questions s'enclenche ce curieux tango typique de la couverture politique, où chacun des partenaires veut à tout prix entraîner l'autre dans la direction opposée. La chef ne déroge pas de son plan. Un référendum? «Ce n'est pas la priorité des Québécois et ce n'est pas ma priorité», dit-elle. «Je veux garder l'agenda ouvert, je pense que dans une société démocratique, on peut vivre avec ça», ajoutera-t-elle plus tard à bord de son autocar.

Pas question de faire comme Jacques Parizeau avant les élections de 1994, qui avait détaillé son plan de match référendaire. Justement, parlant de l'ex-premier ministre: en quittant le point de presse, les reporters se frottent les mains. Ils ont vu que Parizeau a été invité au congrès de l'Union des municipalités, auquel assistera plus tard Pauline Marois. Une intervention de Monsieur en pleine campagne? Du bonbon pour les journalistes!

TWEET nº 2

«On gagne!», s'exclame Pauline Marois. #coursuprême

Assise dans l'autocar qui se dirige vers Québec, Pauline Marois reçoit un appel du ministre des Affaires intergouvernementales, Alexandre Cloutier. Le Québec vient de remporter une victoire devant cette Cour suprême, à laquelle les souverainistes reprochent pourtant de «toujours pencher du même bord».

«Ça montre qu'il faut se tenir debout», dit-elle en raccrochant.

PHOTO PAULINE MAROIS

Nous avons demandé à Mme Marois de prendre
un autoportrait avec la personne de son choix. C'est
son chef de cabinet adjoint, Dominique Lebel, qui s'est prêté à l'exercice.

La nouvelle l'amène à parler de ces grandes conférences, où sont réunis tous les chefs de gouvernements provinciaux. «Si les Québécois avaient la possibilité d'assister à ces conférences, plusieurs deviendraient souverainistes», croit-elle. Car dans de tels événements, le Québec ne peut «jamais baisser la garde».

Manifestement, Mme Marois a une dent contre Brad Wall, son homologue de la Saskatchewan, «un ratoureux, qui essaie toujours de [la] faire trébucher». À l'inverse, au sein du groupe de femmes premières ministres, elle sent un courant de sympathie, dit-elle. «Chacune connaît les batailles qu'on a dû faire pour arriver là.»

TWEET nº 3

«Je ne suis pas une comédienne...», dit-elle. #débatdeschefs

Une heure avant le débat des chefs, Pauline Marois s'est assise, seule, dans une loge à Radio-Canada. Devant elle, une série de fiches, où figurent seulement quelques mots, que la candidate apportait pendant l'enregistrement. «Dans les six derniers mois, j'étais très à l'aise à l'Assemblée nationale. J'ai essayé de me remettre dans cette attitude-là», dit-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Pauline Marois visite le campus de l'Université de Sherbrooke à Longueuil, en compagnie notamment de son candidat dans Saint-Jérôme, Pierre Karl Péladeau, au lendemain du débat des chefs.

Son équipe aurait voulu qu'elle apprenne par coeur son texte de présentation. «Je leur ai dit: je ne suis pas une comédienne...»

Mais les «lignes» importantes de ce débat étaient évidemment écrites à l'avance. La phrase sur le référendum, et aussi ce crochet fulgurant sur Fatima Houda-Pepin, celui dont elle est le plus fière.

Pour l'heure, ses adjoints la font rire quand ils lui expliquent que le compte Twitter de Philippe Couillard est resté actif durant le débat. Faire un débat et tweeter en même temps? «Y'a juste Jean-François [Lisée] qui pourrait faire ça!», s'exclame-t-elle.

TWEET nº 4

«C'était correct, l'entrevue?», demande Pauline Marois. #abcdesrégions

En route vers Québec, Pauline Marois a des entrevues téléphoniques au menu avec des radios en région. Elle compulse les six pages de notes bien tassées sur les Îles de la Madeleine. Usine de Cap-sur-Mer, prix du homard...

L'entrevue part sur une mauvaise note. Allez-vous venir aux Îles? demande l'animatrice. Pauline Marois n'a pas prévu s'y rendre... alors que Philippe Couillard en revient tout juste.

À mesure que l'entrevue avance, Pauline Marois lève un sourcil. L'animatrice est manifestement agressive. Toute la journée, cette entrevue corsée taraudera Mme Marois. «J'en suis encore traumatisée», dira-t-elle plusieurs heures plus tard. Ses adjoints joindront finalement en fin d'après-midi la députée locale, Jeannine Richard. «Est-ce que c'était correct, l'entrevue?», demande-t-elle anxieusement.

TWEET nº 5

«Je ne devrais laisser personne choisir mes vêtements à ma place!», dit-elle. #problèmesdefille

Pauline Marois est dans «son antre» à l'arrière du bus. Un mini-salon où l'on retrouve une causeuse blanche et deux petits fauteuils de cuir brun. Dans un coin, une coiffeuse et un miroir. C'est là qu'elle s'installe quand la jeune Mélanie Bélisle monte à bord de l'autocar pour lui refaire une beauté.

PHOTO KATIA GAGNON, LA PRESSE

Sous l'oeil attentif de Dominique Lebel, Pauline Marois relit la septième et dernière version de son discours.

Dans un coin, une petite penderie avec quelques vêtements. Mme Marois les considère, les uns après les autres. «Ils ne m'ont pas pris les bonnes affaires, dit-elle, excédée. Je ne devrais laisser personne choisir mes vêtements à ma place!»

Depuis qu'on l'a critiquée sur ses bijoux et ses foulards, Mme Marois observe une sobriété totale en matière d'habillement. En soirée, quand elle veut mettre un collier de perles et des boucles d'oreilles pour prononcer son discours, son chef de cabinet adjoint, assis devant elle, fera un signe de dénégation.

«C'est trop?», demande-t-elle. «C'est trop», répond-il.

TWEET nº 6

«Legault, c'était le plus pressé. Il poussait dans le dos de tout le monde», se souvient-elle. #ancienallié

Au congrès de l'UMQ, Pauline Marois est assise à la même table que ses adversaires. Une situation hors du commun en campagne électorale. Elle parle de tout et de rien avec François Legault. Mais il est clair que Pauline Marois n'a jamais digéré le changement de cap de son allié d'hier. «François, c'était le plus pressé pour la souveraineté. Il poussait dans le dos de tout le monde. Il fallait faire la maquette du pays.»

À la table voisine, Jacques Parizeau et sa femme Lisette Lapointe. Malgré l'insistance des journalistes, Monsieur ne dira rien. Une apparition de Parizeau dans la campagne, c'est stressant, Mme Marois? «Je suis habituée, dit-elle en souriant. Les tests, je les ai tous passés. Tests de pureté, tests de leadership...»

TWEET nº 7

«Un agenda infernal» que celui de première ministre. #hyperactive

Assise dans la salle à manger de son magnifique appartement de fonction, dans l'édifice Price, Pauline Marois parle de sa vie de première ministre. «Un agenda infernal. C'est sans fin», dit-elle. Mais cette femme hyperactive aime cette vie.

PHOTO KATIA GAGNON, LA PRESSE

Pauline Marois choisit ses bijoux avant de livrer son discours en soirée.

Après des débuts hésitants, la première ministre a fini par prendre de l'assurance. «Il a fallu que j'apprenne à gérer un caucus, gérer un Conseil des ministres, avec mon style à moi.» Le point de bascule? «Au printemps dernier, on s'est fait un plan de match très systématique et on l'a suivi.» Et il y a eu aussi le drame de Lac-Mégantic, qui a «révélé une femme que les gens ne connaissaient pas», croit-elle.

Le moment le plus dur de sa carrière de chef? «La fronde au sein de mon équipe. Je me suis dit: je peux faire comme les autres, baisser les bras et sacrer mon camp. Mais est-ce que ça va recommencer avec un autre chef?»

TWEET nº 8

«C'est un peu raide, disons», dit-elle. #attaques

Pauline Marois relit la septième version de son discours du soir. En après-midi, elle a renvoyé le rédacteur à sa table de travail. En écrivant ce discours important, qui entame la seconde moitié de la campagne, le rédacteur «s'était un peu laissé aller», dit Mme Marois en souriant.

Cette dernière mouture passe le test. «Il est encore un peu raide, mais c'est un bon discours», dit-elle. Lors d'événements majeurs, les rédacteurs peuvent réécrire l'ouvrage une douzaine de fois. Et si la chef n'est pas absolument certaine, elle teste la livraison devant ses collaborateurs. «Parfois, ça ne passe pas.»

Il est clair que ce soir, Pauline Marois va passer à l'attaque. Même si elle refuse obstinément d'aborder la question, le PQ est à la traîne dans les sondages. Il faut réagir. Mais la chef du PQ veut bien mesurer ses attaques.

Jusqu'à la dernière minute, elle fera des corrections à ce discours. Elle finit par biffer la phrase prononcée ce matin en point de presse. Le référendum? «Ce n'est pas leur priorité [aux Québécois], ce n'est pas ma priorité.»

«C'est beaucoup pour nos militants», dit-elle.

Dans ce discours, Pauline Marois associera directement Philippe Couillard aux malversations libérales. «Il était membre du Conseil des ministres quand les ministres avaient un quota de 100 000 $ de dons à amasser.» Et, pour la première fois, elle cible la chef de Québec solidaire, Françoise David.

«Son meilleur discours de la campagne», juge le journaliste Alain Laforest, de TVA, au bulletin d'information du soir.

PHOTO KATIA GAGNON, LA PRESSE

La première ministre contemple la vue imprenable sur Québec du haut d'une suite de l'hôtel Hilton.

5 question à Pauline Marois

Q : Quel est votre livre de chevet durant cette campagne?

R : Le troisième tome de la Trilogie berlinoise de Philip Kerr. «Je suis une amatrice de polars», dit Mme Marois.

Q : Combien d'heures avez-vous dormi en moyenne chaque nuit?

R : En moyenne, Pauline Marois dort cinq à six heures par nuit. La veille du débat, elle s'est couchée à 21 h 30 et s'est levée à 6 h. La plus courte nuit de la campagne a duré seulement trois heures. «Je récupère facilement.»

Q : Qu'aimez-vous particulièrement manger sur la route?

R : Du St-Hubert. «C'est du fast-food de qualité. Et c'est québécois!»

Q : Que faites-vous pour vous changer les idées?

R : «Je lis. Des livres. Des revues.»

Mme Marois a toujours une pile de magazines à sa disposition. Elle Québec, Le Nouvel Observateur, Géo...

Q : Avez-vous un truc pour ne pas tomber malade?

R : «Faire de l'exercice. Bien manger. Et me laver les mains.» La chef du PQ fait une demi-heure de marche rapide tous les matins.