L'arrestation, hier, du policier à la retraite Benoit Roberge soupçonné d'avoir vendu des informations aux Hells Angels force les enquêteurs de la Sûreté du Québec à réexaminer au moins deux enquêtes d'envergure dans lesquelles il y a eu des fuites importantes au cours des dernières années, a appris La Presse.

Ces enquêtes sont le projet Loquace, mené contre un consortium d'importateurs et de distributeurs de cocaïne en novembre 2012, et le projet Carcan, contre trois cellules de trafic de stupéfiants liées aux Hells Angels sur la Rive-Sud un an plus tôt. Le jour de l'opération Loquace, quatre des six chefs présumés du réseau étaient parvenus à échapper aux policiers en fuyant de leur résidence, dans certains cas dans les heures précédant la frappe policière. Les policiers s'étaient posé de sérieuses questions et avaient amorcé une enquête pour tenter de cerner l'origine de la fuite.

La conjointe de Benoit Roberge, qui est procureure au Bureau de la lutte au crime organisé (BLACO), est affectée au projet Loquace, mais rien n'indique qu'elle ait été au courant des agissements présumés de celui-ci.

La veille de l'opération Carcan, menée le 23 novembre 2011, des acteurs importants de la mafia italienne avaient également eu vent qu'une frappe devait avoir lieu le lendemain, mais ignoraient si c'était eux ou une autre organisation qui était visée. Ils avaient alors décidé de passer la nuit à l'hôtel et cette fuite avait grandement agacé les enquêteurs.

GANGSTÉRISME

Benoit Roberge venait de prendre sa retraite du SPVM, mais il occupait encore une place de choix. Depuis le printemps, il dirigeait le «Service du renseignement» de Revenu Québec et avait toujours accès à des informations délicates.

Il a été arrêté à l'issue d'une enquête de plusieurs mois menée conjointement par la Sûreté du Québec, la Gendarmerie royale du Canada et l'Agence du revenu du Québec.

Ce n'est pas un individu lié aux Hells Angels que Benoit Roberge a rencontré au Quartier DIX30 lorsqu'il a été appréhendé samedi soir, mais plutôt un individu d'origine italienne lié à la mafia et au crime organisé irlandais. Les deux hommes ont été arrêtés par les membres du Groupe tactique d'intervention de la SQ et ont été couchés au sol devant plusieurs témoins. L'interlocuteur de Benoit Roberge a été relâché alors que l'ex-policier été amené au quartier général de la Sûreté du Québec et interrogé. Il a passé la nuit de samedi à dimanche au Centre de détention Rivière-des-Prairies.

Benoit Roberge a fait l'objet de quatre chefs d'accusation - gangstérisme, abus de confiance, entrave à la justice et tentative d'entrave à la justice - hier au palais de justice de Montréal. Les actes reprochés auraient été commis entre le 1er janvier 2010 et le 6 octobre 2013, alors que Benoit Roberge était encore actif comme policier et qu'il témoignait dans des causes devant les tribunaux. Les infractions alléguées auraient notamment eu lieu à Saint-Denis-de-Brompton, dans les Cantons-de-l'Est, où l'ancien enquêteur posséderait un chalet, nous a-t-on dit. Menotté, l'homme semblait penaud lorsqu'il a comparu devant une salle bondée. Il ne s'est pas tourné une seule fois vers l'assistance.

«C'est une véritable tragédie humaine», a chuchoté un procureur. «Tout le monde est sur le dos. C'est la consternation», a renchéri un policier.

AVEC RENÉ CHARLEBOIS

Plusieurs sources nous ont confié que Benoit Roberge était en contact depuis plusieurs années avec le Hells Angel René Charlebois, qui s'est suicidé le 25 septembre dernier, deux semaines après son évasion. Hier, Radio-Canada et TVA ont révélé que la police détiendrait de nombreuses conversations compromettantes entre l'ancien policier et le motard, mais personne n'a confirmé cette information à la Sûreté du Québec. L'enquête se poursuit et la SQ n'exclut pas que d'autres policiers puissent être arrêtés.

«À la suite des opérations des dernières années, le crime organisé va tenter de nous nuire, mais toute infiltration de nos services sera réprimée et fera l'objet d'accusations», a déclaré l'inspecteur Michel Forget de la SQ au cours d'une conférence de presse.

Dans un communiqué laconique, Revenu Québec a annoncé que Benoit Roberge «a été relevé provisoirement de ses fonctions à la suite de son arrestation et de sa mise en accusation». L'agence gouvernementale ajoute qu'elle ne fera aucun commentaire pour ne pas "nuire" à l'enquête menée par les «corps policiers» et à laquelle et elle «collabore pleinement».