Les cimetières cherchent désespérément des morts. Même si la population vieillit, de moins en moins de dépouilles y sont enterrées chaque année. Résultat: des cimetières n'ont plus assez d'argent pour assurer l'entretien des lieux. Alors que certains se lancent dans toutes sortes de campagnes pour convaincre les gens de se faire enterrer chez eux, d'autres doivent désormais se résoudre à quêter pour survivre.

Il n'y a pas si longtemps encore, les terrains du cimetière de Saint-Eustache trouvaient preneur si rapidement qu'on craignait de manquer de place. Ce temps est révolu. Aujourd'hui, c'est de clients qu'on manque. La situation est devenue si grave que l'administration de l'endroit, vieux de 220 ans, n'a même pas les moyens de refaire l'asphalte dans les sentiers, faute de revenus.

«Si ça continue, le cimetière va devenir de plus en plus abandonné, prévient la responsable Francine Doucette. On n'a même pas les moyens d'avoir un employé à temps plein.» Mme Doucette remarque une diminution marquée du nombre de mises en terre depuis quelques années, les familles préférant faire incinérer leur proche et laisser les cendres au salon funéraire, les apporter à la maison ou les disperser au gré du vent.

Une situation alarmante

Selon des chiffres avancés par la Fédération des coopératives funéraires du Québec, 61% des défunts se sont retrouvés au cimetière en 2012 contre 65% en 2010. Mais la vice-présidente de l'Association des cimetières catholiques du Québec, Monique Morin, évalue plutôt la diminution de la clientèle à plus de 30% dans les petits cimetières. Un chiffre corroboré par des vérifications à plusieurs endroits.

«C'est l'étape suivant la baisse de la pratique religieuse. L'Église catholique ne s'est pas adaptée à la nouvelle réalité. Elle rebute un peu la clientèle, croit le directeur général de la Fédération des coopératives funéraires, Alain Leclerc. On n'a qu'à se promener dans les campagnes du Québec pour voir qu'il y a des centaines de cimetières qui tombent à l'abandon. L'entreprise privée et la montée de la crémation leur font compétition.»

Dans certains endroits, la crise a atteint des proportions alarmantes. «Les cimetières vivent avec les défunts, note Monique Morin. S'il n'y a pas de défunts, c'est sûr que ça décline.» Certains affronteront des années très difficiles, prévient-elle.

À Deux-Montagnes, par exemple, la paroisse qui gère trois cimetières n'a pu faire autrement que de quêter. Une première dans son histoire. «On a écrit aux familles qui sont déjà propriétaires d'un terrain pour leur demander des dons», raconte la responsable du cimetière, Lise Maillé. En tout, une centaine de lettres ont été envoyées. «La réponse est bonne», affirme Mme Maillé. Malgré cela, les temps sont de plus en plus durs. «On arrive difficilement. On voudrait faire des embellissements, mais on manque d'argent.» Même son de cloche au cimetière d'Alma. «Si on n'est vraiment plus capable, on va demander de l'aide à l'archevêché et à la Ville», dit la responsable, Dorisse Tremblay.

La moitié des morts incinérés

Selon les plus récentes données, la moitié des morts sont incinérés au Québec. Et comme la loi n'encadre pas la disposition des cendres, beaucoup se retrouvent ailleurs que dans la terre.

«Les gens font tout et n'importe quoi avec les cendres. Ils les amènent chez eux, les laissent à la maison funéraire, les jettent dans les rivières», raconte Mme Morin. «Plusieurs considèrent que c'est trop cher de payer 200$ pour faire creuser un trou, ajoute Francine Doucette. La culture est en train de changer.» Ainsi, le cimetière Saint-Eustache fait régulièrement de la publicité dans les journaux locaux. «Mais c'est difficile d'expliquer dans une pub les avantages de venir chez nous», précise la responsable.

D'autres endroits commencent à offrir des services semblables à ceux des maisons funéraires en construisant notamment des columbariums. «Reste que c'est beaucoup moins payant de conserver une urne que d'enterrer un cercueil», note Alain Leclerc.

Des cendres abandonnées

Plusieurs fois par année, des gens se présentent dans des cimetières afin de se débarrasser de cendres humaines trouvées dans les endroits les plus inusités. En jardinant dans leur cour, en rénovant leur sous-sol et parfois même en pêchant dans une rivière.

Il y a deux ans, des employés du cimetière de Saint-Eustache ont par exemple découvert au petit matin une urne déposée pendant la nuit sur un monument collectif. «Il n'y avait pas de nom dessus. On l'a gardée au columbarium durant quelques mois, au cas où quelqu'un viendrait la réclamer. Puis, on l'a enterrée dans la fosse commune. On n'a jamais su qui c'était, raconte la responsable Francine Doucette. Au moins, ceux qui nous l'ont amenée ne l'ont pas jetée à la poubelle.»

Au cimetière Mont-Marie, à Lévis, des gens ont déjà apporté une urne déterrée en plantant des carottes dans le jardin de leur nouvelle maison. Et d'autres ont trouvé des cendres en rénovant leur sous-sol. «On les prend et on les enterre sans savoir qui sont les morts, dit la directrice générale Monique Morin. Et ce n'est que la pointe de l'iceberg. Ça va continuer comme ça tant qu'il n'y aura pas de loi pour encadrer la disposition des cendres.»

Toujours à Lévis, une femme apportait chaque hiver les cendres de son mari en Floride avec elle. Lorsque la dame est morte, sa nièce a voulu faire enterrer le couple ensemble. Il lui a fallu plusieurs jours avant de retrouver l'urne de son oncle. Sa tante l'avait laissée dans la boîte à gants de l'auto au retour de son dernier voyage.

En 2009, l'histoire de deux pêcheurs qui avaient trouvé un sac de plastique rempli de cendres humaines flottant sur la rivière des Outaouais avait fait la manchette. En ouvrant le sac en question, ils en ont découvert un deuxième contenant les restes, avec une étiquette où figurait le nom du défunt, la date du décès et le nom de la maison funéraire. Les pêcheurs ont tenté en vain d'entrer en contact avec la maison funéraire et la famille. C'est finalement la police qui a pris le paquet en charge.

Photo: André Pichette, La Presse