Les vacances sonnent souvent l'heure des grands départs. Pour les immigrants ou pour ceux dont les parents sont nés à l'étranger, les vacances peuvent aussi être l'occasion de retourner dans leur pays d'origine. Quatre d'entre eux racontent à La Presse cette première fois où ils ont reposé le pied sur leur terre ou sur celle dont leurs parents leur ont tant parlé.

Paul Buu, 41 ans, père de trois enfants, né au Québec d'un père vietnamien et d'une mère philippine

«Mon père est arrivé au Québec avant la guerre pour étudier. C'est ici qu'il a rencontré ma mère, qui était, elle, partie des Philippines également pour les études.

Après son arrivée en Amérique du Nord, mon père n'est jamais retourné au Vietnam et moi, je n'y étais jamais allé jusqu'en 2011.

Quelque chose m'en empêchait. J'éprouvais une certaine gêne, en partie liée au fait que je ne parle pas vietnamien. C'est comme si j'idéalisais le Vietnam, comme si j'avais peur de ne pas être à la hauteur. Peur, surtout, que les gens me fassent sentir que je ne suis pas vietnamien alors que j'ai toujours eu besoin de ce sentiment d'appartenance.

Ma blonde et moi avions déjà deux garçons et on s'est dit que d'adopter un enfant, ce serait une belle façon de finir la famille. Comme il m'était arrivé, en tant que fils d'immigrant, de me faire traiter "d'importé", je savais que dans ces moments-là, un enfant a besoin de pouvoir trouver réconfort dans son noyau familial, de se sentir reconnu. Je pensais donc qu'il serait plus facile pour lui si l'enfant venait d'Asie.

On pensait d'abord avoir un enfant chinois, et finalement, ça a été une petite Vietnamienne de 1 an.

Quand on a eu la nouvelle, je me suis dit: "Ça y est, là, je n'ai pas le choix, je vais devoir y aller, au Vietnam!"

J'avais un peu peur de ne pas atteindre cette espèce de moment de grâce que j'espérais tant ressentir une fois au Vietnam. En même temps, comment espérer cela quand on a si peu de repères? Je n'avais ni famille là-bas, ni maison familiale à retrouver...

Et d'ailleurs, en posant le pied au Vietnam, ç'a été mon premier constat: je ne ressentais rien du tout. Tout ce que je voulais, c'était de dormir! Il faut dire que l'on était venu en famille et qu'un long voyage en avion avec un enfant de 7 ans et un autre de 4 ans, ce n'est pas de tout repos!

Je n'ai finalement pas eu le moment de grâce recherché, mais dès les premiers jours, j'ai senti que je n'étais pas là en touriste. Tout était très différent du Québec, la densité de population, les odeurs, la nourriture, mais j'ai vite eu un plaisir fou à me dire que si ce n'était de la barrière linguistique, je pourrais vivre au Vietnam.

Ce qui était étrange, c'était ce regard insistant sur mes enfants. Les Vietnamiens n'étaient pas habitués à voir des enfants mixtes - ma blonde est d'origine française - et les gens les regardaient fixement. Jamais méchamment. Juste un regard curieux et souriant.

À l'orphelinat, j'avais peur que les gens, qui s'étaient occupés de la petite pendant tout ce temps-là, soient méfiants à mon endroit. Ce n'est pas facile pour eux de laisser partir un enfant du pays à qui ils ont prodigué des soins depuis sa naissance. Je me suis assuré de dire au directeur de l'orphelinat que je ferai tout pour que cette enfant conserve ses racines vietnamiennes. J'ai bien vu, dans son visage, qu'il en était heureux.

Ça a été dur, au début, de ne pas pouvoir lui dire en vietnamien: "Fais dodo, ferme tes yeux, maman est là, papa est là..."

C'était vraiment la première fois que j'aurais beaucoup voulu parler vietnamien...

Mon mode de vie est québécois. Quand je mange vietnamien et avec des baguettes, c'est parce qu'on s'est fait livrer de la nourriture.

D'avoir adopté une fille au Vietnam me rattache encore plus à ce pays. Je sens maintenant une grande responsabilité de transmettre ce pays à Fannie.

Nous retournerons au Vietnam. Ce n'est pas un vague projet. C'est une certitude.»

Jacqui Sebageni, femme d'affaires au Rwanda, toujours un peu en peine d'amour de Montréal

«Je suis native du Rwanda mais très vite, avec ma famille, nous avons dû fuir vers le Kenya comme réfugiés.

En 1991, la vie a fait que j'ai atterri à Montréal. Ça a été Montréal, comme ça aurait pu être n'importe où ailleurs. Quand on n'a pas de chez-soi, ça ne fait pas de différence où l'on va.

Je suis arrivée seule.C'était l'automne. Tout de suite, je me suis sentie chez moi, pour la première fois. C'était amical, hospitalier, ouvert.

Je vivais dans le Plateau et je me suis liée avec une famille francophone. Je dirais même que c'est surtout grâce aux enfants de cette famille que j'ai appris le français. Avec des enfants, tu n'es pas gênée, tu n'as pas d'inhibition.

J'ai passé 15 ans à Montréal. Puis, sans que je n'aie rien sollicité, j'ai reçu une offre d'emploi au Rwanda dans mon domaine, en tourisme.

Ça ne m'intéressait pas. J'étais trop bien, moi, à Montréal! N'empêche, comme on me payait le billet d'avion, j'ai décidé d'y aller pour cinq petites journées.

Je n'ai pas eu l'emploi, mais sitôt que j'ai posé le pied dans le pays, j'ai été séduite. Je sentais que je rentrais à la maison. Je suis revenue à Montréal et j'ai tout emballé.

Rarement a-t-on la chance de pouvoir assister à la naissance d'un pays. C'est le sentiment que j'avais. Il y avait là un tel désir de progrès, une si grosse envie d'aller de l'avant que ça vous attirait comme un aimant.

Le génocide est arrivé. Je mentirais si je disais que les vieilles haines ont été effacées, mais moi, au quotidien, je ne peux pas dire que j'en sois témoin.

Chacun sait qu'il ne faut jamais oublier ce qui s'est passé pour que plus jamais quelque chose comme cela ne se reproduise. En même temps, on ne peut pas dire que ce passé pèse comme une grosse chape de plomb sur le pays. La fraîcheur, l'espoir, le désir d'avancer, tout cela frappe beaucoup les touristes qui sont de passage ici.

On sent que tout est possible. Par exemple, pour lancer mon agence de voyages - qui va très bien et qui compte une vingtaine d'employés aujourd'hui -, l'enregistrement m'a pris six petites heures.

Je travaille probablement avec les mêmes outils que vous, à Montréal. J'ai un BlackBerry et tout.

Aujourd'hui, j'ai l'impression que j'ai deux pays: le Canada et le Rwanda.

De Montréal, je m'ennuie beaucoup de la vie culturelle, des terrasses, des festivals. Mais surtout, je m'ennuie de mon fils. Je l'avais ramené avec moi, au Rwanda, mais lui, comme il avait passé toute sa vie à Montréal, c'est là qu'il a voulu poursuivre son chemin.

Je prédis cependant que comme pour moi, sa vie se passera probablement entre les deux pays. Je le souhaite, en tout cas!»

 

Photo: Alain Roberge, La Presse

Jean-Chrysostome Zoloshi, prêtre, né au Congo, à Montréal depuis 1993

«Je suis le 3e de 11 enfants. Quand je suis né, en 1968, le Congo était en paix.

C'était dans les années qui suivaient la décolonisation, au temps de tous les espoirs. En congolais, on chantait: "Tout brille à Kinshasa." Mon père était directeur d'école et on avait même des employés à la maison.

La descente aux enfers a commencé vers 1975: la corruption, puis les pillages...

Au début des années 90, j'ai décidé de partir étudier en France. Le jour où je suis allé à l'ambassade chercher mon visa, le jeudi 28 janvier 1993, l'ambassadeur s'est fait tuer.

Quand je suis rentré à la maison, je suis allé au lit. À mon réveil, tout avait changé. C'était le chaos total. La ville était à feu et à sang. Nous sommes restés terrés une semaine à la maison. Comme les étrangers étaient encore plus à risque, nous avons caché chez nous un conseiller de l'Angola et sa femme.

Notre maison, à son tour, a été saccagée et pillée. Nous avons été menacés.

J'ai appris que le prêtre ouvrier qui devait m'accueillir en France était parti au Canada. C'est comme cela, par pur hasard, que je suis arrivé ici, le 20 septembre 1993.

Ma première impression, ça a été de trouver qu'il n'y avait personne à Montréal, qu'il n'y avait que des voitures. J'habitais dans Hochelaga-Maisonneuve et je m'étonnais de constater que je pourrais rester cinq, dix, voire quinze minutes sur le pas de ma porte sans voir passer qui que ce soit. Un jour, j'ai même demandé à quelqu'un où l'on pouvait aller pour trouver des gens. J'ai trouvé: dans le métro!

Je suis devenue vicaire, puis curé à Montréal.

En 2002, je suis retourné au Congo pour la première fois. Cinq mille personnes sont venues assister à ma messe d'Action de grâce. On a chanté et dansé pendant cinq heures. Au milieu de toute cette joie, moi, j'avais le motton, comme on dit en québécois, parce que pour la première fois, j'ai vu la misère de mon peuple.

J'ai grandi à Kinshasa, mais là, j'étais dans le village de mon père et je n'arrivais pas à intégrer le fait que l'on pouvait naître, grandir et mourir dans de telles conditions. Sans chaussures, sans jamais avoir vu la télévision ni l'ordinateur...

Le soleil se lève pour tout le monde, mais pas de la même façon.

Quand je suis rentré à Montréal, c'était trop de repenser à cette misère. J'ai cherché à oublier. C'est une Québécoise qui m'a sorti de ma torpeur et qui m'a incité à créer en 2004 une fondation pour venir en aide au Congo dans les domaines de l'éducation, de la santé et de développement communautaire, notamment par l'entremise du microcrédit.

Cette année, pour aller vérifier nos progrès sur le terrain, je suis retourné au Congo pendant quatre mois. Il y a tant à faire!

Bizarrement, grâce à mon travail au sein de la fondation, je connais mieux le Congo que si j'étais resté toute ma vie à Kinshasa.

Ce qui m'attriste particulièrement, c'est que le peuple congolais, à cause de son histoire, a été amené à s'abrutir, à devenir fainéant, à chercher la facilité. Il a perdu le sens du travail.

Ce qui est désespérant, aussi, c'est cet attrait pour la théorie. On se contente tellement d'un savoir théorique! Un jeune qui décrochera un diplôme en agronomie, par exemple, sortira de l'université sans même savoir comment cultiver un champ, faire un jardin ou un élevage. Sa seule ambition, ce sera de décrocher un poste de professeur, qui le replongera dans la théorie.

Il est gênant, aussi, d'observer les représentants congolais lors des rencontres politiques régionales ou autres. Les dignitaires des autres pays sauront manier les outils modernes, ils sauront comment faire des recherches efficacement sur l'internet. Le Congolais, lui, n'aura qu'une préoccupation: faire durer la négociation le plus longtemps possible pour ainsi pouvoir toucher le plus longtemps possible son allocation journalière.

C'est sûr que là-bas, avec ma si grande volonté de convaincre les Congolais des vertus de l'autonomie et du dépassement de soi, je suis maintenant perçu comme un étranger donneur de leçon, comme un étranger vers qui l'on se précipite pour demander de l'argent... Mais moi j'en suis sûr: on ne peut pas rester petit Congolais dans son village.

Si je n'étais pas un prêtre incardiné au diocèse de Montréal, je retournerais certainement au Congo pour aider à la reconstruction de ce pays. Les projets que je développe au Congo sont pour moi une façon de me rattraper, d'apporter ma contribution.»

Photo: Alain Roberge, La Presse

Carmel-Antoine Bessard, née à Montréal de parents haïtiens

«Avec le recul, je réalise que si je suis allée en Haïti en 2012, c'est par pure quête identitaire.

Au Québec, tout le monde autour de moi tentait de me dissuader d'y aller. On me disait que c'était trop dangereux, que j'allais être kidnappée. On m'a tellement mitraillé de mises en garde qu'avant mon départ, prise de panique, je me suis sentie mal au point d'appeler Info Santé!

Une fois en Haïti, j'ai été sur mes gardes pendant quelques semaines et ensuite, j'ai relativisé: je n'étais pas en Afghanistan, tout de même!

J'ai trouvé un poste dans les travaux publics et je suis restée en Haïti de février à décembre 2012. Au départ, ça m'a obligée à m'affirmer, comme femme, mais on me donnait des projets tellement motivants que d'un point de vue professionnel, j'ai gagné plus que jamais en confiance.

Ma première impression, quand je suis arrivée, ça a été de penser: "Ça y est, je suis chez moi." Je voyais des femmes qui me ressemblaient, avec des cheveux crépus et des hanches généreuses. Pour la première fois, je n'étais plus minoritaire. J'étais comme tout le monde. Cela m'aurait fait tellement de bien de vivre cela alors que j'étais adolescente!

Ce qui frappe aussi, quand tu arrives là-bas, c'est la politesse des gens. Quand tu arrives quelque part, dans une boutique ou ailleurs, il n'est pas de mise de faire l'indifférente. Non, quand tu arrives quelque part, tu salues les personnes qui se trouvent là.

Les Haïtiens sont aussi très portés sur la hiérarchie et sur les titres. Dans une conversation, ce sera "Madame la professeure", "Madame l'architecte", etc.

Ce qui m'a aussi frappée, c'est le manque d'intimité. Le coq chante à l'aurore, le chien jappe, le voisin d'à côté dont la maison est tellement proche que tu entends toutes ses conversations...

Haïti m'a parfois donné le goût de pleurer. Comme quand je voyais ces enfants si bien mis, à l'uniforme bien empesé, marcher pendant des kilomètres sous le soleil chaud pour aller à l'école. J'ai aussi vu des enfants vivre dans des dépotoirs. Quand j'étais là, un homme s'est même fait défoncer le thorax par un camion qui, sans que le chauffeur s'en rende compte, a déchargé sa cargaison sur lui.

Tout ça, ça fait mal. En même temps, je ne peux pas dire que la pauvreté m'ait frappée tant que cela, au quotidien. Parce que des pauvres, dans ma communauté, à Montréal, il y en a aussi pas mal.

Et je vais vous dire, j'ai si bien mangé, là-bas, que je suis rentrée avec 10 livres de plus!

Je me trouvais si bien en Haïti, que rendue là-bas, je me suis mise à rêver comme une jeune fille en me disant: si je trouve un compagnon de vie, je reste ici pour toujours.

Je ne l'ai pas trouvé. Les Haïtiens sont incroyablement galants, c'est agréable, mais ça ne veut pas toujours dire que c'est pour la vie!

Je suis finalement rentrée à Montréal! Les Haïtiens, qui avaient si peur pour moi, étaient finalement super fiers. Fiers que je sois allée au pays.

Mon but, maintenant, c'est de retourner en Haïti pour de bon. Là-bas, il y a une belle effervescence, et on a l'impression que tout est possible. Mais avant cela, il me faut m'organiser, me créer un réseau.

J'ai beaucoup voyagé, mais depuis que je suis allée en Haïti, aucune autre destination ne m'intéresse. La Turquie, la Finlande, l'Espagne, l'Amérique du Sud, maintenant, je m'en fous. Ma seule envie, c'est de me retrouver en Haïti. J'ai envie d'Haïti, de sa mer, de ses montagnes et de son soleil.»

Photo: David Boily, La Presse