Les Singh, originaires de l'Inde, sont arrivés au Canada en 2011. En attendant la réponse de leur demande de statut de réfugiés, ils ont été prisonniers d'un nouveau drame, a affirmé à La Presse le père de la famille : un appartement insalubre, un propriétaire qui n'a pas répondu à leurs plaintes et des démarches infructueuses auprès de la Ville de Montréal. Récit.

Après près d'une année de calvaire ponctuée de nombreuses démarches infructueuses au sujet de l'insalubrité de leur logement, Tejinder Singh, sa femme et leur fille âgée de huit ans doivent déménager aujourd'hui, à deux semaines d'avis, a décrété la Ville de Montréal.

Arrivé au pays avec sa petite famille en 2011, M. Singh a pris une première fois contact avec la Ville de Montréal en août 2012 pour qu'un inspecteur visite son appartement, rue Querbes, dans le quartier Parc-Extension. La moisissure s'y multipliait sur les murs, tout comme les coquerelles dans les armoires. «Le concierge constate tout comme moi les problèmes, me dit qu'il ne peut rien faire et me conseille d'appeler le propriétaire. Quand je l'appelle, il me recommande de parler à son concierge. Personne ne m'aide», explique M. Singh.

Le 7 août 2012, un inspecteur se rend au logement pour une première visite. Il appelle le propriétaire du logement, Kujtim Canaj. Dans son rapport de suivi, dont La Presse a obtenu copie, il écrit: «Je lui répète que l'ampleur des dommages au logement sont des manques d'entretien de la part du proprio et donne des exemples de dommages au logement qui ne sont absolument pas causés par les locataires.»

Le bas des murs est parsemé de moisissures. La fenêtre de la cuisine est trouée, seul un morceau d'aluminium empêche l'air extérieur d'entrer. De fines gouttes d'eau s'échappent du plafond du salon, formant des flaques sur le plancher, qui est en très mauvais état.

La pièce la plus endommagée est la salle de bains. La baignoire est défraîchie, tout comme la peinture sur le mur au-dessus de l'évier, qui s'écaille par grands morceaux. Des gouttes jaunes, épaisses et visqueuses s'écoulent sur le mur, tombant sur le robinet et formant de grosses taches.

L'hiver, raconte Tejinder Singh, le chauffage s'élève rarement au-dessus de 15 degrés. L'air extérieur s'infiltre par les fenêtres et par la porte de la terrasse.

Le propriétaire ne veut pas réparer

Le 18 octobre, après avoir parlé à nouveau avec le propriétaire, l'inspecteur écrit dans son rapport: «Il me dit qu'il ne veut pas faire les travaux comme le locataire ne paie pas assez cher et ne veut pas signer une augmentation de loyer en plein milieu du bail.»

Quatre mois plus tard, alors qu'aucune rénovation n'est faite, le propriétaire se rend aux bureaux de la Ville pour rencontrer l'inspecteur. «Il y a un conflit [...] le proprio veut qu'il quitte pour augmenter le loyer, l'autre refuse les augmentations (on se demande pourquoi.. !) et le harcèle pour qu'il fasse les travaux (on se demande encore pourquoi...)», écrit l'inspecteur dans son rapport.

Entre-temps, la famille Singh vit dans un logement insalubre. Une plainte officielle est déposée fin février 2013 à la Régie du logement. En avril, le juge administratif déclare que le propriétaire doit payer une somme de 500 dollars à Tejinder Singh, en plus d'en rembourser 50 par loyer payé depuis le signalement des problèmes au tribunal.

Selon M. Singh, ce jugement n'a jamais été respecté. Lorsque La Presse a communiqué avec lui, le propriétaire a déclaré que les locataires étaient responsables des dommages, bien que cette thèse ait été réfutée à plusieurs reprises par l'inspecteur de la Ville. Il a par la suite refusé de parler et a raccroché sans répondre à aucune question et promettant de poursuivre la famille.

Peu de services de soutien

Puis, la famille Singh a reçu le 14 juin un avis d'évacuation de la Ville de Montréal qui entrera en vigueur au plus tard à midi, aujourd'hui. «À défaut de vous conformer à cet avis, nous nous verrons dans l'obligation de forcer l'évacuation», est-il écrit dans une lettre unilingue alors que personne à cette résidence ne peut lire le français.

«Le locataire quitte son logement, avec à peine quelques semaines d'avis, sans compensation, sans aucune mesure d'accompagnement. Il faut tenir compte du drame vécu par ces personnes plutôt que de simplement leur indiquer la porte de sortie. Sans ressources, ils sont encore plus démunis», déplore André Trépanier, du Comité d'action de Parc-Extension (CAPE).

Si la famille Singh s'est finalement trouvée un nouveau logement, c'est sans l'Office municipal d'habitation de Montréal, qui ne pouvait lui offrir les mêmes services que s'ils étaient des immigrants reçus. Si Tejinder Singh, sa conjointe et leur fille étaient citoyens canadiens ou résidents permanents, ils auraient rempli tous les critères requis pour obtenir une place en priorité dans un HLM, étant évacués d'urgence par la Ville de Montréal. Leur statut au Canada est la seule raison pour laquelle ils n'ont pas reçu cette aide, qui leur aurait été due.

Malgré tous ces problèmes, M. Singh voudrait pouvoir revenir dans son précédent logement une fois les rénovations terminées.

«L'appartement est situé au premier étage, ce qui est idéal pour ma femme, enceinte de cinq mois. Je travaille pour ma part à quelques coins de rue, dans un marché de fruits, et ma fille étudie à l'école primaire à quelques pas d'ici. Je veux revenir», conclut-il.

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Pas de HLM pour les réfugiés

Les victimes d'un incendie ou les gens évincés d'un logement insalubre par les inspecteurs de la Ville de Montréal obtiennent en priorité une place dans un logement de l'Office municipal d'habitation de Montréal (un HLM) s'ils remplissent les critères d'admissibilité. Or, parce que la famille Singh est sans statut au Canada, il lui est impossible d'obtenir cette aide d'urgence. Entre ses heures travaillées à l'épicerie locale, Tejinder Singh a été forcé de se trouver un nouveau logement par lui-même. Pour avoir accès à un HLM, il faut :

1- Être citoyen canadien ou résident permanent (la famille Singh ne remplissait pas ce critère) ;

2- Avoir résidé sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal pendant 12 mois au cours des 24 derniers mois ;

3- Que la valeur de tous les biens réunis des personnes vivant sous le même toit ne dépasse pas 50 000 dollars ;

4- Être autonome pour ses besoins essentiels ;

5- Que les revenus collectifs bruts des personnes inscrites sur la demande de logement, pour la dernière année, ne dépassent pas:

* 27 000 dollars pour une personne seule

* 27 000 dollars pour un couple

* 32 000 dollars pour deux ou trois colocataires

* 36 500 dollars pour quatre ou cinq colocataires

* 47 500 dollars pour six colocataires ou plus.

Il y a présentement plus de 22 000 demandes en règle en attente à l'Office municipal d'habitation de Montréal.

SOURCE : Office municipal d'habitation de Montréal, règles définies par le gouvernement du Québec