Poursuivi en diffamation par le géant forestier Résolu, qui lui réclame 7 millions de dollars, l'organisme Greenpeace accuse l'entreprise de vouloir la bâillonner.

«Pour nous, c'est une tactique d'intimidation, affirme Nicolas Mainville, directeur de Greenpeace Québec. C'est une poursuite-bâillon pour embourber notre organisation dans des dédales juridiques coûteux.»

Dans sa poursuite, Produits forestiers Résolu, la plus grande entreprise forestière canadienne, accuse Greenpeace et deux de ses militants d'avoir répandu, notamment dans un rapport publié en mai, des «allégations de faits et des images qui étaient fausses et trompeuses et dont l'intention était de nuire et de causer un dommage, et dans les faits a nui et causé un dommage aux affaires de Résolu et à sa réputation».

Les propos reprochés à Greenpeace concernent trois sujets : le sort de la forêt vierge de la Vallée de la Broadback au Québec, des décisions touchant certains régimes de retraite des employés de Résolu et des affirmations de Greenpeace au sujet d'une famille de produits dont Résolu affirme qu'ils sont écologiques.

Poursuite en Ontario

La poursuite a été déposée à la Cour supérieure de l'Ontario, à Thunder Bay, là où a eu lieu la dernière assemblée des actionnaires de Résolu. «Il faut se rappeler qu'il n'y a pas de loi contre les poursuites-bâillon en Ontario», dit M. Mainville.

Résolu réclame 5 millions en diffamation et 2 millions en dommages punitifs et exemplaires.

L'entreprise n'a pas voulu commenter l'affaire, «par respect pour les procédures judiciaires».

Rupture

La bataille juridique qui s'amorce est un élément de plus dans la rupture entre Résolu et plusieurs grands groupes environnementaux, qui s'étaient pourtant entendus, il y a trois ans, pour signer l'Entente sur la forêt boréale canadienne (EFBC).

Cette entente, qualifiée d'historique à l'époque, mettait fin aux campagnes de pressions comme celles de Greenpeace au sujet des produits forestiers, comme les papiers-mouchoirs ou les papiers d'impression.

Les parties s'étaient donné trois ans pour s'entendre sur les grands enjeux écologiques et sociaux de la forêt boréale, notamment sur la création de vastes aires protégées pour le caribou forestier.

En décembre dernier, Greenpeace a quitté avec fracas l'EFBC en faisant des affirmations qu'elle a dû finalement retirer au sujet des activités de Résolu dans la zone des Montagnes Blanches.

Cette zone écologiquement sensible située au nord du Lac St-Jean, où Résolu détient des droits de coupe, abrite quatre hardes de caribous forestiers.

Le camp des opposants s'agrandit

D'autres groupes, comme la Société pour la nature et les parcs et Forest Ethics, ont aussi rompu avec Résolu ce printemps en se désolant du peu de progrès réalisé sur le terrain en matière de conservation depuis trois ans.

Le mois dernier, le Grand Conseil des Cris s'est ajouté au camp des opposants à Résolu, en contestant la certification écologique FSC qu'a reçue l'entreprise dans le secteur des Montagnes Blanches.

Dans sa poursuite, Résolu rappelle que Greenpeace a affirmé faussement qu'elle avait ouvert des chemins forestiers dans cette zone en violation de l'EFBC et relate que l'organisme s'est rétracté trois mois plus tard, seulement quand il a été menacé de poursuites.

Après la rétractation, Résolu s'était engagée à ne pas poursuivre Greenpeace, mais un document publié en mai par Greenpeace a remis le feu aux poudres.

Le rapport, intitulé Des promesses à la réalité : le développement (non) durable de Résolu, a été distribué notamment auprès d'acheteurs de papier et à l'assemblée des actionnaires de Résolu.

Pour l'entreprise, ce document était un signe que la rétractation et les regrets exprimés par Greenpeace n'étaient pas sincères.

Mais selon M. Mainville, les affirmations factuelles qu'il contient sont plus pertinentes que jamais. Il affirme que le rapport se fonde sur des recherches scientifiques crédibles concluant au risque d'extinction du caribou.

«C'est clair qu'on ne va pas se laisser bâillonner, dit-il. C'est un dossier public, des forêts publiques, et les gens doivent savoir ce qui se passe dans leurs forêts.»

«Ça dépasse la question de la forêt boréale, dit-il. Ça touche la liberté d'expression qu'on doit avoir dans tous les dossiers.»