Le règne de Florent Gagné à la tête de la Sûreté du Québec (SQ) a été agité par de sévères confrontations avec ses policiers et son ministre de tutelle. À la Sûreté et au gouvernement de l'époque, des sources lui reprochent également son inaction après qu'il eut été informé d'allégations sérieuses de collusion.

Sous-ministre de la Sécurité publique depuis 1994, Florent Gagné a été catapulté en 1998 à la direction générale de la Sûreté du Québec dans la foulée de la commission d'enquête Poitras. À la fin de son règne, en 2003, ce rare civil à avoir dirigé le corps de police n'avait pas laissé de bons souvenirs à plusieurs policiers à qui La Presse a parlé.

C'est notamment sous sa gouverne que l'enquête Bitume, qui se penchait sur la collusion, le trucage des marchés publics et la corruption à Laval, a été refermée un an après sa création. L'escouade spéciale de six enquêteurs mise en place a par la suite été dissoute.

Il ne voulait pas faire de vague

Aucune autre action n'a été entreprise pour s'attaquer au fléau de la corruption et de la collusion, déplore une source au pouvoir à l'époque et bien au fait du dossier. «Il avait été personnellement saisi au début de l'hiver 2003 par le bureau du ministre de la Sécurité publique et des Transports, Serge Ménard, de l'existence d'une situation sérieuse de collusion», preuve à l'appui, explique cette source.

D'autant plus incompréhensible de sa part, souligne le même interlocuteur, que les allégations de «favoritisme» dans l'octroi de contrats à la Ville de Laval faisaient déjà les manchettes des médias au début des années 90, lorsque Florent Gagné était sous-ministre en titre des Affaires municipales. «Il ne voulait jamais faire de vagues», se souvient un policier qui l'a bien connu.

Son règne de DG a aussi été houleux. Mais Florent Gagné devait composer avec des compressions financières importantes.

Son passage a été marqué notamment par une confrontation solide avec ses policiers, au point que le syndicat avait demandé sa tête. Le leader syndical Tony Cannavino lui reprochait d'être un fonctionnaire de passage qui «pense à sa carrière» et à son retour «au gouvernement» plutôt que de défendre ses policiers. Il a aussi été qualifié de «Pinochet», «has been» et «directeur occasionnel» dans un bulletin syndical.

Denis Despelteau

C'est aussi Florent Gagné qui a fait revenir en mars 1999, comme consultant à forfait, Denis Despelteau, tout juste retraité de son poste de DGA Administration. Denis Despelteau a été arrêté et accusé mardi notamment de fraude et fabrication de faux documents dans le cadre d'une enquête portant sur des détournements potentiels de fonds secrets de la SQ.

Sa gestion de la SQ et plus spécialement l'embauche de Denis Despelteau comme consultant avaient d'ailleurs donné lieu à une passe d'armes en commission parlementaire le 11 novembre 1999 entre le ministre de la Sécurité publique de l'époque, Serge Ménard, et Florent Gagné d'une part et Jacques Dupuis, alors dans l'opposition, d'autre part.

Ce dernier disait avoir «de la misère un petit peu» avec les honoraires de 112 000$ versés à Despelteau financés à parts égales par la SQ et le Fonds spécial des municipalités. «Je ne suis pas sûr que les municipalités seraient très, très heureuses de savoir qu'elles paient la moitié des honoraires de gens qui sont assis au comité des relations de travail de la SQ pour négocier la prochaine convention collective des agents de la SQ», ajoutait Jacques Dupuis.

Et ironie de l'histoire pour ce tuteur de Laval, Florent Gagné avait menacé de démissionner en 1999 pour protester contre la mise en place par Serge Ménard d'un «comité de surveillance» des activités de la SQ. M. Gagné dénonçait ce chaperon, qu'il estimait être une «tutelle» déguisée.