Le docteur Henry Morgentaler, figure de proue de la lutte pour le droit à l'avortement libre et gratuit au Canada, est décédé mercredi matin à l'âge de 90 ans à son domicile de Toronto, selon ce qu'a fait savoir une militante pour le droit à l'avortement qui dit en avoir été informé par la famille.

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Carolyn Egan, de la Coalition ontarienne des cliniques d'avortement, a précisé que M. Morgentaler est décédé entouré des membres de sa famille.

Héros pour les uns, assassin aux yeux des autres, cet immigrant polonais survivant des camps de concentration se targuait d'avoir mis fin à des dizaines de milliers de grossesses en 40 ans de pratique privée dans les cliniques qui portent son nom.

Il détestait néanmoins qu'on le traite d'« avorteur », un terme associé au charlatanisme et à la clandestinité contre lesquels il a passé sa vie à se battre, au péril de sa liberté et parfois même de sa sécurité.

Il préférait de loin se décrire comme médecin et comme « spécialiste de l'avortement médical ». Son objectif: rendre l'interruption volontaire de grossesse accessible à toutes les femmes, pour qu'elles aient véritablement le choix d'enfanter ou pas.

Comme le résume l'énoncé de mission de ses six cliniques, il s'agissait pour lui de faire en sorte que « toutes les mères soient heureuses de l'être et que tous les enfants aient été désirés ».

Au nom de ce principe, il a été arrêté, cité à procès et emprisonné. Ses cliniques ont été vandalisées à plusieurs reprises et il a été attaqué en pleine rue par un militant pro-vie qui n'a toutefois pas réussi à le blesser.

Malgré tout, il n'a jamais baissé les bras ni exprimé de remords. En recevant l'Ordre du Canada, à 85 ans passés en juillet 2008, il se disait fier du chemin parcouru depuis le début de son combat politique et juridique, à la fin des années 1960.

Né à Lodz en Pologne le 19 mars 1923 dans une famille engagée, Henry Morgentaler a été déporté à Auschwitz au début de la vingtaine. Son père, sa mère et sa soeur ont trouvé la mort dans les camps nazis.

Il a fait sa médecine en Allemagne au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, grâce à une bourse des Nations unies, puis s'est réfugié au Québec dans les années 1950 avec sa première épouse.

Il a consacré les premières années de sa carrière à la médecine familiale, faisant dans sa clinique montréalaise la promotion de la planification des naissances et de la contraception.

Avant même de procéder à son premier avortement, Henry Morgentaler s'était prononcé publiquement en faveur de la légalisation de la procédure devant un comité de la Chambre des communes en octobre 1967.

L'affaire a fait les manchettes, attirant à la porte du médecin spécialisé en santé sexuelle et en contraception des dizaines de femmes prêtes à tout - y compris la prison - pour interrompre leur grossesse.

Jugeant la loi injuste et sa position intenable, M. Morgentaler n'avait pas su leur résister longtemps. La fille d'un de ses amis a été sa première patiente, en 1968. Dès l'année suivante, il abandonnait sa clinique familiale pour se consacrer uniquement aux avortements.

En 1973, il affirmait devant le tribunal en avoir déjà accompli 5000. À 50 ans, il avait trouvé sa voie. Il était devenu l'un des visages du combat pour la libération des femmes, dans une société qui faisait sa révolution sexuelle et sa Révolution tranquille en même temps.

En dépit de ses aveux et malgré les instructions claires du juge, un jury québécois a refusé de le déclarer coupable. Cette sentence a toutefois été renversée en appel et le médecin a été emprisonné pendant 10 mois au cours desquels il a fait un infarctus.

La loi a par la suite été modifiée pour empêcher des magistrats de casser la décision d'un jury. Cette modification est encore connue sous le nom d'« amendement Morgentaler ».

L'affaire s'est néanmoins rendue en Cour suprême et a donné lieu au premier de trois arrêts sur l'avortement portant le nom du médecin, en 1976. Cette décision partagée donnait raison à l'État qui considérait alors comme criminelle toute tentative de mettre fin à une grossesse.

Le deuxième arrêt Morgentaler a été prononcé en 1988 à la suite de l'arrestation du médecin en Ontario et après l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Les magistrats ont jugé anticonstitutionnelle la loi en vigueur à l'époque qui obligeait une femme à obtenir le consentement d'un comité d'experts avant un avortement.

Aucun gouvernement n'a réussi à légiférer sur les interruptions de grossesse depuis ce temps. Le Canada est donc depuis 20 ans l'un des seuls pays du monde occidental à ne pas baliser l'avortement.

Les provinces qui souhaiteraient le faire n'en ont pas le droit, puisque la Cour suprême a estimé, dans sa dernière décision Morgentaler, que l'affaire était de compétence fédérale exclusive.