C'est un homme traqué par la police, miné par la maladie et traîné dans la boue depuis des mois qui répète sans cesse deux messages, le souffle court. Non, il n'a pas truqué l'appel d'offres du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), et le jour où il déballera son sac, plusieurs personnes au Québec pourraient avoir de mauvaises surprises.

Arthur Porter, l'ancien patron du CUSM tombé en disgrâce, a rencontré La Presse pendant une trentaine de minutes, hier, dans sa résidence des Bahamas.

M. Porter, qui déplorait ne jamais avoir vu de preuves des démarches policières, a ainsi pu recevoir en main propre une toute première copie du mandat d'arrêt à son nom obtenu par l'Unité permanente anticorruption du Québec - qui l'accuse d'avoir accepté des millions en pots-de-vin afin de favoriser SNC-Lavalin dans la course au gigantesque contrat de construction et de gestion du mégahôpital.

La maladie l'a de toute évidence affaibli. Il affirme combattre un cancer qui s'est aggravé récemment. Il a beaucoup maigri, sa voix est faible, il a perdu des cheveux. Un tube part de son nez vers une bombonne d'oxygène, et une multitude de flacons traînent sur sa table de chevet.

Mais il a toujours le sourire facile et laisse souvent échapper un petit ricanement pendant la conversation. Il refuse d'abord de se faire prendre en photo, mais accepte finalement, car il sait que plusieurs Québécois doutent de sa maladie, qu'il a diagnostiquée lui-même. «Je ne pense pas que quiconque peut feindre un cancer comme ça», ronchonne-t-il en se redressant péniblement sur sa chaise.

Arthur Porter refuse d'entrer dans le détail des accusations avant d'avoir préparé sa défense avec ses avocats, mais il a visiblement lu presque tout ce qui s'est écrit sur lui: les soupçons de corruption et de fraude, les critiques sur sa gestion et le déficit historique qu'il a laissé derrière lui en quittant le CUSM, l'argent qu'on lui réclame et les politiciens qui se sont distanciés de lui.

«Tout le monde dit que la soumission pour le CUSM a été truquée. De mon point de vue, cet appel d'offres n'était pas truqué et n'aurait pas pu être truqué. Le processus a impliqué plus de 70 personnes et trois agences gouvernementales québécoises, incluant le Conseil du Trésor, Infrastructure Québec, le bureau du directeur général et le CUSM», dit-il.

«La plupart du quantitatif a été géré par le gouvernement du Québec, pas le CUSM, ajoute-t-il. À ce jour, je ne sais même pas la différence de prix entre les deux soumissions.»

L'escouade Marteau a beau avoir retrouvé la trace des millions versés par SNC-Lavalin et identifié des intermédiaires qui auraient transféré de l'argent dans son compte personnel, Arthur Porter n'en démord pas.

«SNC-Lavalin, vous la connaissez. C'est une des compagnies les plus puissantes au Québec. L'entreprise n'avait pas besoin d'un Arthur Porter pour trouver un numéro de téléphone, pour savoir comment le gouvernement du Québec opère. Elle savait mieux que moi, probablement», dit-il.

Fier de son héritage

Il prétend d'ailleurs être toujours fier de l'héritage qu'il a laissé derrière lui. «Si vous conduisez sur l'autoroute, entre la ville et l'aéroport, et que vous regardez à votre droite, vous verrez un formidable projet qui n'était pas là avant moi, et qui va changer la face de la médecine à Montréal», assure-t-il.

Oui, l'établissement a connu des «temps difficiles» en matière de finances, mais c'est parce que «personne ne veut payer pour la recherche et la partie académique d'un centre hospitalier universitaire», croit-il.

Il n'écarte pas la possibilité de venir se défendre en cour au Québec. «J'aimerais pouvoir revenir, car alors je saurai que j'ai battu ce démon», dit-il en référence au cancer.

«Je n'aime pas salir les gens. Mais si j'ouvrais mes papiers, je pourrais causer tout un tapage au Canada», affirme-t-il à plus d'une reprise.

En attendant, il se soigne, entouré de sa conjointe et de sa fille aînée, qui viennent vérifier son état tout au long de l'entrevue. Celles-ci ne cachent pas le fait qu'il est pénible de voir l'ancienne superstar de la santé se soumettre à de rudes traitements de chimiothérapie.

Arthur Porter profite aussi des longues heures de traitement pour écrire un livre sur sa vie (avec l'aide d'un coauteur) et dévore en rafale les DVD du sitcom The Thick of It, satyre de la vie parlementaire britannique. «C'est très bon, si vous aimez la politique», dit-il.

«Je dois m'occuper de ma santé, de ce qui en reste, de ma famille, dit-il en concluant. Je ne suis plus si fort que je l'étais, mais il me reste un fond de combativité ici», chuchote Arthur Porter en se tapant la poitrine et en promettant, un jour, de s'expliquer davantage.

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Sur le Comité de surveillance des activités de renseignement

Arthur Porter est toujours déçu de la façon dont il a dû démissionner, en 2011, du Comité de surveillance des activités de renseignement, l'organisme civil chargé de surveiller le travail des espions canadiens. Le gouvernement Harper l'avait nommé à la présidence de ce comité.

Sa démission a suivi un article du National Post qui révélait sa fonction jusqu'alors inconnue d'ambassadeur plénipotentiaire de la Sierra Leone au Canada et ses tractations avec certains pays ou agents étrangers.

Pourtant, Arthur Porter croit que tous ces liens ne l'empêchaient pas de faire un bon travail auprès de services secrets canadiens. «Si vous demandez aux gens qui ont siégé avec moi, ils vous le diront. Et j'ai énormément apprécié l'expérience», souligne-t-il.

«Ce n'est pas parce que je fais quelque chose de bien pour l'un que je ferai quelque chose de mal pour l'autre», dit-il au sujet des «doubles allégeances» qu'il entretenait alors.

Il croit aussi que l'importance stratégique de son poste de surveillant a été exagérée. «Je n'étais pas à la tête de l'agence de renseignement elle-même. Le Comité de surveillance, ce sont des gens de divers horizons qui déterminent si, du point de vue du public, l'agence fait du bon travail. J'avais de plus grosses responsabilités comme médecin», lance-t-il.

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Sur Philippe Couillard et les autres politiciens qu'il a connus

«Je ne crois pas les gens quand ils disent: "je regrette d'avoir été proche de lui"», laisse tomber Arthur Porter lorsqu'on le questionne sur la classe politique canadienne et québécoise qu'il a fréquentée pendant des années.

Le politicien dont il a été le plus proche est l'ancien ministre de la Santé Philippe Couillard, qu'il a rencontré dans le cadre de ses fonctions, confirme-t-il. «Il était le ministre de la Santé, je dirigeais un des plus gros hôpitaux.»

Les deux hommes ont siégé ensemble au Comité de surveillance des activités de renseignement, ils se sont impliqués côte à côte dans la société minière Canadian Royalties et ont fondé une boîte de consultants qui n'a jamais reçu de mandats. Aujourd'hui, Philippe Couillard a clairement pris ses distances du controversé médecin.

«C'est toujours décevant, quelqu'un qui est considéré comme un ami inconditionnel qui se distancie. Je ne l'ai jamais fait, je ne le ferai jamais. Dans la position où je suis, c'est très intéressant de voir qui sont les vrais amis», dit Arthur Porter en soupirant.

Avec le sourire, il raconte que peu avant son départ, un politicien «de haut rang» l'a félicité et lui a confié que le Québec n'aurait jamais réussi le projet du Centre universitaire de santé McGill sans lui. «Je vais garder son identité pour moi», dit-il en ricanant.

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Sur l'argent qu'on lui réclame à Montréal

Arthur Porter fait actuellement face à deux poursuites civiles à Montréal, de la part de créanciers présumés qui n'ont pas réussi à se faire payer après qu'il a causé la surprise en démissionnant de son poste au Centre universitaire de santé McGill, en décembre 2011.

La Banque Nationale réclame 800 000$ en paiements d'hypothèques pour son luxueux condo du centre-ville, alors que l'Université McGill exige 317 000$ pour le solde d'un prêt qu'elle lui avait consenti, ainsi que pour rembourser un salaire qu'elle lui a versé par erreur après sa démission.

«C'est un problème mineur en regard du reste. Tout le monde va être payé», assure-t-il.

«Quand j'ai quitté Montréal, je ne suis pas parti de la manière dont j'aurais voulu, c'est-à-dire avec le temps requis pour régler mes affaires, payer tous les comptes, vendre le condo. C'est ce que j'ai toujours fait! Là, il est resté des choses à régler. Je dois vendre le condo si je veux rembourser, sinon, où prendre l'argent?», demande-t-il.