Les psychiatres québécois, contrairement à leurs homologues français, courent très peu de risques de se voir traîner en cour criminelle en raison des exactions de leurs patients. Ils peuvent néanmoins connaître des problèmes avec les tribunaux civils.

Jean-François Saucier l'a constaté à ses dépens il y a quelques années, lorsque la famille d'un ex-patient qui a poignardé sa mère durant une crise a intenté une poursuite civile contre lui en Cour supérieure.

La requête déposée en 2011 au palais de justice de Montréal reproche à ce psychiatre retraité de ne pas avoir posé de diagnostic de schizophrénie ni prescrit de médicaments antipsychotiques pendant son suivi du patient, de 2005 à 2008.

Le document souligne par ailleurs que le praticien ne s'est pas opposé à une interruption du suivi, que souhaitait le patient, en février 2008.

Habité par «d'importantes idées paranoïdes, notamment à l'égard de membres de sa famille», l'homme s'est attaqué six mois plus tard à sa mère et l'a poignardée à une dizaine de reprises, sans la tuer. Il a été transféré à l'Institut Pinel et on lui a fait suivre un traitement avec de la médication antipsychotique.

Le patient a été déclaré inapte à avoir son procès en mai 2010 pour «cause de non-responsabilité criminelle» et a recouvré la liberté tout en demeurant soumis à un suivi médical.

Aucune procédure disciplinaire

Les requérants réclamaient initialement une somme totale de 580 000$ pour les dommages découlant des «fautes alléguées» du psychiatre. On lui reproche d'avoir «négligemment évalué, traité, diagnostiqué et suivi» le patient.

L'avocat Jean-Pierre Ménard, spécialiste en responsabilité médicale qui représente la famille, estime que le médecin a notamment erré en «lâchant le patient dans la nature».

En entrevue, M. Saucier affirme qu'il n'avait aucune raison de croire que le patient risquait de s'en prendre violemment à sa mère, avec qui il vivait. Il assure qu'il aurait «tout de suite averti du danger» la famille s'il avait eu connaissance d'un tel risque. Il estime qu'il ne peut être tenu responsable de l'agression perpétrée par le patient, d'autant moins qu'elle est survenue «six mois après l'interruption de la thérapie».

Le praticien, aujourd'hui âgé de 83 ans, a accepté en 2010 de prendre sa retraite après que la famille du patient eut adressé une plainte au Collège des médecins. Le syndic de l'organisation, relève-t-il, lui a suggéré de cesser sa pratique.

La porte-parole du Collège des médecins, Leslie Labranche, signale que M. Saucier n'a fait l'objet d'aucune procédure disciplinaire après avoir «accepté» de ne plus traiter de patients.

Double meurtre et suicide

Un cas similaire est survenu à Maniwaki à la suite d'un double meurtre suivi d'un suicide. Un homme souffrant de troubles psychiatriques s'en est pris, à sa sortie de l'hôpital en 2004, à son ex-conjointe et à son nouvel ami avant de mettre fin à ses jours. Une poursuite civile a ensuite été engagée par la famille de l'une des victimes contre l'établissement et l'un de ses médecins. Une entente à l'amiable, frappée d'une clause de confidentialité, a été conclue l'automne dernier, indique Me Ménard, qui représentait les demandeurs.

Il affirme que son cabinet dépose chaque année de cinq à dix poursuites civiles ciblant de mauvais traitements psychiatriques. Mais il est pratiquement impossible que des psychiatres soient poursuivis en cour criminelle au Canada en raison des exactions d'un patient, juge l'avocat. La loi précise que la personne mise en cause doit avoir manifesté une «insouciance déréglée ou téméraire» à l'égard de la vie d'autrui.

«Il faudrait qu'un patient précise qu'il dispose d'une carabine chargée à la maison, qu'il a l'intention de tuer quelqu'un et que le médecin lui paie le taxi pour rentrer chez lui. Je caricature, mais c'est à peu près ça», souligne Me Ménard.

Jean-François Saucier pense qu'il est normal de sanctionner des psychiatres qui ne font pas les gestes requis pour protéger le public lorsque la menace est manifeste. L'idée d'imputer à un psychiatre la responsabilité de gestes violents survenus plusieurs mois après le traitement lui semble cependant aberrante.

«C'est un peu comme les sismologues en Italie qui ont été condamnés pour ne pas avoir prédit un tremblement de terre, dit le médecin. On ne peut pas tout prévoir.»