Le gaspillage se produit à tous les échelons de la chaîne alimentaire: à la production (18%*), où l'on sélectionne les plus beaux légumes; à la distribution (11%), au cours de laquelle les magasins jettent des tonnes d'aliments périmés (ou non); mais surtout chez les consommateurs (51%), esclaves de la date de péremption.

Dernier maillon de la chaîne alimentaire, l'organisme Moisson Montréal aide chaque mois 142 000 personnes en donnant une seconde vie aux invendus de l'industrie agroalimentaire.

Le directeur général, Dany Michaud, vient de l'industrie agroalimentaire. Il connaît donc très bien les deux côtés de la médaille du gaspillage. Il s'est donné pour mission de convaincre les producteurs et les distributeurs de donner leurs invendus au lieu de les envoyer à l'enfouissement. Son argument principal: le profit.

«Avant d'entrer à Moisson Montréal, je pensais que c'était un grand sous-sol d'église. En donnant des produits proches de la date de péremption, les détaillants ont peur de voir leur nom associé à un scandale. Alors il faut essayer de leur montrer que c'est aussi facile de donner que de jeter et que ça peut même être payant puisqu'ils n'auront pas à payer pour se débarrasser de ces denrées», explique Dany Michaud.

Dany Michaud a fait de l'organisme une véritable entreprise à la fine pointe de la technologie, dotée d'un système informatique de traçabilité, de frigos écolos et d'une chaîne de triage.

«On donne pour environ 55 millions de dollars en denrées chaque année, rien qu'avec des aliments qui devaient être jetés! Pourtant, on ne répond qu'à environ 65% de la demande. Il y a donc encore des besoins à combler et on a les infrastructures ici pour recevoir plus de denrées», précise-t-il.

«On devrait être le dernier maillon de la chaîne alimentaire», ajoute le patron de Moisson Montréal.

En donnant à des oeuvres de charité les aliments qu'elle ne peut plus vendre, Louise Ménard, propriétaire de cinq supermarchés IGA, a également compris qu'elle pourrait économiser chaque mois dans le budget de 3000$ qui sert à se débarrasser des déchets dans chacun de ses magasins.

Elle a été l'une des seules à accepter de parler avec La Presse de ses pratiques en tant que détaillante.

«À trois ou quatre jours de la date de péremption, nous retirons les produits des tablettes et nous les offrons à des oeuvres de charité. Mais quand le produit est périmé, on ne peut pas se le permettre, bien que, dans 95% des cas, il soit encore très sain», explique Louise Ménard.

«Dans le cas des fruits, des légumes et de la viande qui ne sont plus vendables mais qui sont toujours consommables, c'est beaucoup plus simple puisque, dans tous les magasins où il y a un lieu de transformation, on les utilise pour le prêt-à-manger. Pour les boîtes cabossées ou abîmées, une compagnie vient les chercher et nous donne une infime portion de leur prix», ajoute-t-elle.

Dates de péremption, une pratique douteuse

Mme Ménard, qui travaille depuis plus de 30 ans dans le domaine de l'alimentation, n'est pas tendre envers les habitudes de consommation de sa clientèle, non plus qu'envers la tyrannie des dates de péremption.

«Le client n'achètera pas le produit à quatre jours de la date de péremption. On fait peur aux gens, on a créé une clientèle qui s'imagine que, à minuit à la date de péremption, le produit n'est plus bon. Je ne sais pas qui a inventé la date de péremption, mais je ne comprends pas tout ce gaspillage et je trouve ça très difficile de jeter autant», confie Louise Ménard.

La Presse a posé la question à Ginette Bourgeois, consultante en hygiène et salubrité alimentaire depuis sept ans et inspectrice des aliments pendant 30 ans à la Ville de Montréal. Elle est aussi formatrice à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec et coauteure d'un livre sur l'hygiène et la salubrité.

«La date de péremption est une information pour le consommateur. Lors de la conception du produit, elle est émise par le fabricant, ou à l'occasion par le détaillant, pour confirmer que l'aliment a gardé sa fraîcheur, sa texture, son goût et ses valeurs nutritives», explique-t-elle.

Si la chaîne de froid a bien été respectée, dans des conditions optimales de conservation, la date de péremption ne signifie pas forcément que l'aliment n'est plus bon.

Alors, comment expliquer que 51% du gaspillage provienne des foyers?

«Dans le doute, les gens jettent des produits même quelques jours avant la date de péremption, de peur d'être malades. Je fais beaucoup d'expériences avec les yogourts. J'en ai gardé jusqu'à neuf mois après la date indiquée sur l'emballage et je ne suis pas morte!», lance Ginette Bourgois.

«Les aliments ont des dates de fraîcheur mais, s'ils sont conservés au congélateur, même si la date de péremption est dépassée de plusieurs mois, l'aliment va être comme si on venait de l'acheter», ajoute-t-elle.

De plus, selon la loi, les aliments dont la durée de conservation est supérieure à 90 jours - comme les croustilles, les confitures, les céréales, etc. - ne sont pas tenus d'être dotés d'une date de péremption. Pourtant, ils le sont tous, même les conserves.

Alors, finalement, à qui cette date profite-telle?

«En tout cas, pas au consommateur. Mais au fabricant, grâce à la consommation, qui fait en sorte qu'une dame va jeter le produit en s'apercevant en fin de semaine qu'il est devenu périmé. Le lundi suivant, elle va en acheter un autre. Le fabricant profite donc de notre mode de consommation», conclut Mme Bourgeois.

* Selon l'étude Food Waste in Canada, du George Morris Centre.