La réorganisation des entreprises de Tony Accurso lui permet non seulement de continuer à obtenir des contrats publics, mais elle pourrait aussi priver le fisc de... 45 millions de dollars.

Au printemps 2008, le groupe Accurso a complètement réorganisé ses affaires dans la foulée de l'enquête de Revenu Canada. De cette réorganisation est née une nouvelle entreprise, Louisbourg SBC, qui peut techniquement continuer à obtenir des contrats publics malgré les aveux de fraude fiscale de deux sociétés soeurs.

Or, La Presse a découvert que la restructuration pourrait aussi permettre au groupe Accurso d'économiser 45 millions de dollars d'impôts. Il appert que le stratagème respecte la Loi de l'impôt à la lettre, mais il n'est pas clair qu'il en respecte l'esprit, ce qui constituerait de l'évitement fiscal abusif.

Selon plusieurs sources, les autorités fiscales canadiennes s'interrogent sur ce genre de stratagème, qu'utilisent aussi d'autres entreprises. L'évitement fiscal n'est pas considéré comme de la fraude, contrairement à l'évasion fiscale, mais ses abus sont de plus en plus contestés par les grands pays industrialisés.

Une affaire de pertes fiscales

Dans le cas du groupe Accurso, le stratagème est relativement simple: pour économiser de l'impôt, l'organisation a acquis à l'été 2008 une entreprise au bord de la faillite qui avait accumulé des pertes énormes. Ces pertes fiscales, qui sont reportables dans le temps, peuvent servir à réduire les profits du groupe Accurso durant plusieurs années. Ce faisant, elles permettront de diminuer les factures d'impôts du groupe.

Normalement, les autorités ne contestent pas ce type d'opération fiscale si l'entreprise acquise travaille dans le même secteur que l'acquéreur. Or, dans le cas d'Accurso, l'entreprise était active dans le secteur des télécommunications, bien différent de celui de la construction.

Ce genre de transactions « soulève un doute », nous dit une source gouvernementale bien placée, et pourrait constituer de l'évitement fiscal abusif. Dans le secteur privé, deux comptables renommés nous disent d'ailleurs que l'Agence du revenu du Canada commence à contester ce genre de stratagème, utilisé aussi par d'autres organisations.

«Ça n'a pas d'allure qu'on puisse utiliser des pertes dans un contexte comme ça, où les entreprises travaillent dans des secteurs totalement différents. Je sais que ça se fait, mais ça n'a pas de bon sens dans le système d'impôts canadien. Ça va contre l'esprit de la loi.»

L'entreprise acquise par le groupe Accurso s'appelle Réseaux Simpler. Cette société a conçu entre 1999 et 2008 des technologies pour améliorer les transmissions électroniques. Comme elle n'est pas parvenue à commercialiser ses produits, Simpler a accumulé des pertes de 155 millions de dollars. Ces pertes se traduisent aujourd'hui par des gains d'impôts éventuels de 45 millions pour le groupe Accurso, calculent des fiscalistes.

Le rachat de Simpler a été financé par la société Simard-Beaudry Construction, selon des documents publics. Cette firme est précisément celle qui a plaidé coupable à une accusation de fraude fiscale en 2010 et dont la licence est actuellement suspendue par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ).

Aujourd'hui, Simpler n'est plus active dans les télécommunications. Le groupe Accurso a utilisé la coquille de Simpler pour créer une nouvelle entreprise en août 2008, baptisée Louisbourg SBC. Cette firme a un permis de la RBQ qui n'est pas suspendu. Elle a soumissionné pour le contrat de l'échangeur Turcot, à Montréal, la semaine dernière.

Ironiquement, avant de se protéger de la faillite, Simpler a survécu au fil des ans grâce à des injections massives de fonds publics ou quasi publics. Le gouvernement du Québec y a injecté (et perdu) des millions de dollars par l'entremise de la société Innovatech. Même gouffre pour le Fonds FTQ.

Autrement dit, les pertes de Simpler que cherche à utiliser le groupe Accurso pour alléger sa facture d'impôts ont été accumulées en grande partie avec des fonds publics. En fin de journée, Tony Accurso n'avait pas rappelé La Presse.