Près d'un an après les inondations qui ont défiguré plusieurs municipalités de la Montérégie, les écriteaux à vendre s'additionnent devant les résidences des riverains touchés par cette catastrophe naturelle, la pire depuis plus d'un siècle dans la région.

Le printemps dernier, Stéphane Rousseau et Céline Bourassa devaient grimper à bord d'un canot pour se déplacer autour de leur maison. Celle-ci donne directement sur la rivière Richelieu, à Saint-Blaise-sur-Richelieu, une des villes les plus durement touchées par les inondations.

Le couple venait alors de mettre sa résidence en vente. Son projet a été brutalement stoppé lorsque l'eau s'est mise à monter. Qui voudrait visiter une maison en chaloupe?

Même si l'eau de la rivière est sagement retournée dans son lit, le couple ne s'attend pas à voir les acheteurs jouer du coude devant sa porte. «C'est sûr que les gens vont avoir peur, mais si on veut vivre sur le bord de l'eau, il faut s'attendre à ça», résume Mme Bourassa. Comme elle, plusieurs propriétaires interrogés tentent de vendre leur maison depuis plus d'un an.

Les Rousseau-Bourassa habitent leur maison depuis 1998. Heureusement, les inondations ont seulement endommagé leur terrain. Conscient que les acheteurs se montreront frileux, le couple a revu le prix de sa maison à la baisse, de 400 000$ à 328 000$. Le téléphone n'a pas encore sonné. Mais le couple ne s'en fait pas. «Moi si je voulais acheter dans le coin, j'attendrais au printemps pour voir comment la rivière va se comporter», résume M. Rousseau.

À quelques kilomètres de là, à Saint-Jean-sur-Richelieu, Jean-Yves Lavoie nourrit peu d'espoir. «On ne s'attend pas à vendre cette année, mais on essaie», avoue candidement le riverain, dans le vestibule d'une magnifique résidence au bout de la rue Sheridan. L'an dernier, l'eau de la rivière avait transformé son terrain et sa rue en lac, sans toutefois pénétrer dans sa maison. «Ça fait 10 ans que je suis ici et on n'a jamais vu ça. On ne veut pas revivre ça», admet le riverain, qui avait prévu vendre sa maison avant les inondations. La catastrophe n'a pas modifié le prix demandé: 399 000$. «Je ne sens pas que ma maison est dévaluée. Il y a plus d'avantages à vivre sur le bord de l'eau que le contraire», croit M. Lavoie.

Inquiétudes à Saint-Jean

De leur côté, des propriétaires de Saint-Jean-sur-Richelieu s'inquiètent du changement de zonage dans certains quartiers inondés. Éric Ouellet et sa mère sont de ceux-là. «On nous considère dorénavant comme étant dans une zone inondable. Les prêts hypothécaires seront plus difficiles à obtenir et un plus important dépôt sera exigé à l'achat», redoute M. Ouellet, qui a dû protéger sa maison avec des sacs de sable pour empêcher l'eau de l'infiltrer.

Son petit bungalow de la rue Harris est à vendre depuis trois mois. «On s'attend à voir arriver des acheteurs opportunistes, désireux d'acheter la maison au rabais», explique M. Ouellet.

De l'autre côté de la rue, directement sur le bord de la rivière, la résidence cossue de Dolores O'Cain est aussi à vendre. Prix demandé: 450 000$. Et pas question de réviser le prix. «Je ne m'attends pas à avoir une foule ici, mais je ne plierai pas sur le prix. Si mon mari n'était pas mort, je mourrais ici», lance la femme en montrant son petit coin de paradis.

«On a de la difficulté à vendre!»

«On a de la difficulté à vendre!», admet sans détour Josette Gauvreau, rencontrée de l'autre côté de la rivière, à Saint-Anne-de-Sabrevois.

Elle a eu une seule offre depuis la mise en vente de sa maison, bien avant les inondations. «On a eu de l'eau dans la cave et sur le terrain, on a vidé avec des pompes», explique la femme. La maison qu'elle partage avec son mari donne sur la rue Bouthillier, submergée durant les inondations. Plusieurs maisons de la rue sont en vente. «Mon mari est invalide et les ambulanciers ne pouvaient pas se rendre ici à cause de l'eau. On a donc vécu deux mois dans les hôtels de la région», raconte Mme Gauvreau.

L'imposante couverture médiatique des inondations a contribué à ralentir le marché immobilier, croit pour sa part Danielle Pelletier, de Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix, qui tente aussi de vendre sa maison. «Des gens m'ont fait une offre, mais leur prix est ridicule. Ils espèrent profiter de la situation pour faire une bonne affaire».

***

La question qui tue

«Est-ce que ç'a été inondé?» Cette question, la courtière en immobilier Diane Marshall, employée de RE/MAX très active depuis30 ans sur le territoire ciblé par les inondations, l'a entendue en boucle depuis un an.

«Les achats de maison ont effectivement ralenti, mais la saison est jeune et le bord de l'eau sera toujours populaire», croit l'agente immobilière.

Elle espère une reprise des affaires cette année. «L'année dernière a été catastrophique. Ça a eu un impact sur le marché au complet et les rares acheteurs avaient du mal à se faire assurer.»

Les inondations ont attiré ceux qui souhaitent faire de bonnes affaires et les spéculateurs, observe Mme Marshall.

Un constat que partage le courtier immobilier et directeur chez Via Capitale du Carrefour, Normand Jalbert. «L'an dernier, avec la crue des eaux, ce n'était peut-être pas de l'eau salée, mais il y avait des requins autour!», illustre le courtier d'expérience, qui a lui-même une résidence au bord de l'eau dans le secteur.

M. Jalbert s'attend aussi à une reprise des affaires ce printemps. «Je suis convaincu que les gens vont vouloir passer à l'action et avoir accès à l'or bleu qu'est la rivière Richelieu.»

D'ici là, impossible encore de mesurer les conséquences des inondations sur le marché immobilier, nous dit-on à la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ).

Même chose chez les municipalités touchées. L'une d'elles, Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix, a toutefois entrepris de faire le nécessaire pour attirer des gens et faire tomber l'étiquette de ville sinistrée. «On a refusé de récupérer et d'empêcher la construction sur les terrains inondés comme le suggère le gouvernement. On encourage au contraire les gens à reconstruire ou à vendre leur maison», explique la directrice générale de la Ville, Marie Lili Lenoir. Si quelques concitoyens ont plié bagage, découragés, Mme Lenoir ne croit pas que la réputation de Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix, baptisée la capitale nautique, soit entachée. «On fait tout pour redorer l'image et mettre tout ça derrière.»

***

Visite incognito au bord du Richelieu

Pour vendre des maisons qui ont été inondées le printemps dernier, les agents immobiliers marchent sur un fil de fer, ont constaté nos journalistes qui ont visité incognito une dizaine de maisons en vente entre Venise-en Québec, Sainte-Anne-de- Sabrevois, Saint-Blaise-sur-Richelieu et Saint-Jean-sur-Richelieu.

Saint-Paul-de l'Île-aux-Noix

L'annonce pour la maison à vendre se veut alléchante: tranquille, posée sur un grand terrain. À Saint-Paul-de l'Île-aux-Noix, l'avenue résidentielle est bordée par des terres agricoles.

De l'extérieur, le petit pavillon peint en bleu et blanc ne porte plus de traces des crues du printemps dernier, lorsque la rivière Richelieu a quitté son lit pour inonder les sous-sols et jardins des maisons riveraines.

Tout naturellement, l'agente immobilière chargée de la vente commence le tour en détaillant les petits «plus» de cette propriété qui a fait l'objet de «rénovations».

La visite va bon train, on s'apprête à descendre au sous-sol quand le locataire évincé de la maison explique certains des travaux faits au sous-sol, inondé à trois reprises au cours du printemps dernier.

«L'eau entrait par les fenêtres, j'étais plus capable», dit-il, les yeux écarquillés. Autre point non négligeable soulevé par ce locataire loquace: la maison est en zone inondable, et ses assurances rechignent depuis un an à l'assurer.

La visite se finit au pas de course.

«J'allais le dire, pour les inondations, mais je ne l'aurais pas fait comme ça», conclut l'agente, dépitée.

Sainte-Anne-de-Sabrevois

Sainte-Anne-de-Sabrevois, rue Bouthillier, plusieurs maisons, dont trois côte à côte, sont à vendre.

C'est le cas d'un duplex, toujours en travaux. Son terrain offre une vue imprenable sur la rivière et ses quenouilles.

Mais en cette fin de matinée du mois de février, il ressemble à une terre agricole fraîchement labourée. Depuis les inondations, le duplex a été surélevé et posé sur de nouvelles fondations. À l'avant, le balcon du premier étage repose sur des pilotis.

Le décor est peu invitant, mais l'agent immobilier qui nous guide joue cartes sur table. «Oui, je ne vais pas vous mentir, il y a eu de l'eau ici», lance-t-il, jovial.

Le propriétaire a mis le duplex en vente l'an dernier, quelques semaines avant que l'eau n'endommage le bâtiment. Plusieurs dizaines de milliers de dollars plus tard, le duplex a été replacé sur le marché, à un prix allégé.

L'agent souligne malgré tout les cicatrices que les inondations ont laissées au bâtiment.

«Je n'ai pas le choix de vous le dire», explique-t-il.

Au cours de la visite suivante, il montre du doigt les «signes qui ne trompent pas»: les marques laissées par l'eau sur les troncs d'arbre, portes de garage ou treillis dans le jardin.

«On ne peut pas dire qu'il n'y en a pas eu quand il y en a eu», dit-il.

***

47 millions > Indemnités versées par le ministère de la Sécurité publique aux sinistrés.

95,2% > Pourcentage des dossiers d'indemnisation soumis à Québec qui sont réglés, huit mois après la fin des inondations.

«On a reçu 2291 dossiers admissibles au programme d'indemnisation, et on en a réglé 2182» - Valérie Savard, directrice des communications au ministère de la Sécurité publique.

Photo: Bernard Brault, archives La Presse

Cette maison semblait bien seule, le 5 mai 2011, alors qu'elle était entièrement cernée par le Richelieu, sorti de son lit.