Daba Sene est à cheval entre deux cultures. Son père est sénégalais, mais elle vit avec sa mère, qui est québécoise. Elle est noire, mais aussi blanche. La plupart de ses amis sont blancs. Elle connaît le Sénégal, mais n'y est pas allée depuis des lunes. À force de se faire demander d'où elle venait, elle a fini par se demander qui elle était. Et c'est pour cette raison qu'elle s'est inscrite au 2e Concours Miss Afrique Montréal, qui a lieu ce soir au centre Pierre-Péladeau.

«Pour moi, c'était une façon de revendiquer mes racines africaines, explique la jeune femme de 19 ans.

Une façon de dire à ma famille au Sénégal: je suis au Québec, mais je suis aussi avec vous. Et je sais d'où je viens.»

Avec 14 candidates issues d'une dizaine de pays et un gala donné à guichets fermés, Miss Afrique est de loin l'événement le plus «glamour» de ce 21e Mois de l'histoire des Noirs. Mais ne dites pas à ses organisateurs qu'il s'agit d'un autre concours de beauté. Car pour eux, l'événement est d'abord une célébration de l'Afrique et de sa splendeur au sens large: exit les bikinis, bonjour les boubous, les paréos et les danses traditionnelles.

«On ne veut pas juste des Miss, explique Doro Saiz, photographe d'origine béninoise, qui supervise depuis six mois la formation des jeunes femmes en vue du grand soir. Ce qu'on veut, nous, c'est représenter nos valeurs et notre culture.»

Cette approche un brin moins sexiste n'est pas sans déplaire aux candidates, qui disent avoir profité de l'aventure pour renouer avec leurs racines. Nées au Québec, ou arrivées ici à un très jeune âge, ces jeunes femmes avaient depuis longtemps pris le pli nord-américain. Plusieurs se questionnaient sur leur africanité profonde. Avec le concours, elles ont comblé une sorte de vide identitaire.

«D'habitude, je vis mon Burundi comme une Burundaise moderne, lance Lucille Kristushe Mezwe, 20 ans, en consultant son iPhone. Mais là, j'ai fait un vrai voyage au coeur de ma culture. Intellectuellement, j'ai appris des choses. Je suis maintenant plus curieuse de ce qui se passe dans mon pays d'origine.»

«On ne peut pas avoir la modernité sans la tradition, renchérit Fanny Bakamana, 20 ans, originaire du Congo. L'un ne va pas sans l'autre. Avec la vie qu'on mène, il ne faut pas oublier ce qu'on met de côté. Il ne faut pas oublier d'où on vient.»

S'affirmer, se retrouver

Soyons honnête: on n'aurait jamais cru qu'un gala de Miss aurait autant de résonance. Mais c'est peut-être, justement, toute la beauté de ces concours dits «ethniques». Mis sur pied par des immigrants, ils permettent à une communauté déracinée de se célébrer, mais aussi de signaler sa présence dans la société d'accueil.

«C'est une façon de dire «ne nous oubliez pas, nous sommes là!», résume Fama Traore, qui organise le concours Miss Guinée Canada depuis l'an dernier. Vous savez, les immigrants africains n'ont pas su prendre leur place politiquement ou économiquement, alors il se servent de la culture pour s'affirmer.»

«Revendiquer ses racines? Cela va de soi», ajoute Dramane K. Denkess, fondateur de la webtélé AfriqueCanada.tv. Mais pour lui, ce genre d'événement est avant tout un excellent prétexte pour se retrouver parmi les siens. «En Occident, vous savez comment c'est, personne n'a jamais le temps. Tout le monde est stressé. Même dans la communauté africaine, des gens qui se connaissent peuvent être six mois sans se voir. Alors oui, c'est une occasion de se rassembler.»

Reste à voir si Miss Afrique durera au-delà de sa deuxième présentation. À Montréal, les initiatives africaines sont nombreuses, mais pas toujours constantes. Pour fédérateur qu'il soit, l'événement devra survivre aux divisions de tout ordre qui freinent parfois la communauté africaine.

Vingt dollars sur Miss RDC.

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Pour la bonne cause?

À Montréal, la communauté africaine n'a pas l'exclusivité des concours de beauté ethniques. Bon an, mal an, on compte ici une dizaine de galas exotiques qui vont de Miss Latina à Miss Beauté black, en passant par les vénérables Miss Chinese et Miss Philippines, qui existent respectivement depuis 29 et 49 ans !

Dans certains cas, ces concours sont un tremplin professionnel. Qu'on pense à Christy Chung, gagnante de Miss Chinese 1993, devenue une actrice très populaire à Hong Kong.

Dans d'autres cas, la fonction est plutôt sociale. C'est le cas de Miss Philippines, qui vise ouvertement à redresser le moral de la communauté.

«Nous avons le 3e plus haut taux de décrochage à Montréal. C'est une ombre qui nous suit depuis longtemps, souligne l'actuelle Miss Philippines, Andrea Neufeld. En insistant sur le positif, le concours permet de nous valoriser... » Après un hiatus d'un an, Miss Philippines reprendra le collier (de perles?) le 5 mai prochain à l'école secondaire Saint-Luc.