Vingt-huit mille heures de travail facturées, sept personnes, dont une payée 1 million de dollars, pour une facture totale de 3,5 millions. C'est le contrat accordé par Laval à CIMA+ pour «coordonner» la rénovation de ses usines d'eau potable, un travail administratif déjà supervisé et surveillé par ses fonctionnaires et trois autres firmes de génie, a appris La Presse. Ce chantier, déjà plombé par un dépassement de coûts de 60% depuis 2009, fait vivement réagir l'opposition à la Ville de Laval.

La firme de génie s'est retrouvée seule en lice pour l'obtention de ce contrat après l'élimination de son seul concurrent à l'issue de l'appel d'offres. Pour justifier le montant de 3,5 millions, taxes incluses, CIMA+ indique affecter sept membres de son personnel au projet. Il s'agit de deux cadres, quatre ingénieurs, dont deux «seniors», ainsi qu'un employé auxiliaire.

Il s'agit d'un travail clérical de coordination, suivi d'échéanciers, administration, classement de documents, etc., qui n'engage pas leur responsabilité professionnelle. Les employés de CIMA+ doivent «assister» Denis Burroughs, ingénieur responsable Études et assainissement à Laval. «C'est une formule classique, ils sont nos yeux et notre chien de garde», dit Nadine Lussier, directrice des communications de la Ville.

Trois autres firmes de génie ont obtenu des contrats, entre autres de conception des plans et devis, et de surveillance pour les trois usines concernées. Il s'agit de Dessau (Chomedey), Tecsult (Pont-Viau) et BPR-Triax (Sainte-Rose). C'est ce que l'on apprend, dans le dossier de soumission déposé par CIMA+ en décembre 2007, et obtenu par La Presse en vertu de la loi sur l'accès à l'information. Le mandat de CIMA+ «doit s'échelonner sur une période de cinq à six ans», lit-on dans un document.

Ce contrat de «mandataire-coordonnateur» a été octroyé à la firme de génie le 6 février 2008 par le comité exécutif de Laval. C'est Claude de Guise, alors directeur de l'ingénierie, qui a endossé le projet. M. de Guise a quitté son poste trois jours plus tard. Il n'a pas rappelé La Presse.

Génivar n'a pas été retenue à la suite de l'ouverture des soumissions. Nadine Lussier explique que c'est soit «parce que la soumission de Génivar n'était pas conforme, soit parce qu'elle n'avait pas atteint le pointage de 70%. «Donc, l'enveloppe de prix scellée n'a pas été ouverte», précise Mme Lussier. Il est impossible de savoir quel était le montant soumissionné par Genivar.

Dépassement de coûts

Le nombre d'heures que CIMA+ estime consacrer au projet est de 28 000 heures. Les taux horaires exigés, proches de ceux de l'association des ingénieurs-conseils du Québec, s'échelonnent de 54$/heure pour l'auxiliaire à 164$/heure pour le «patron répondant». Le mandataire-coordonnateur est celui qui coûte le plus cher aux contribuables: 1 079 200$. Ce cadre et un autre collègue de CIMA " sont même censés travailler 7100 heures chacun exclusivement sur ce contrat, soit l'équivalent de 3 ans et 3 mois de travail ininterrompu, 5 jours par semaine de 40 heures. Cette situation fait vivement réagir l'opposition à la Ville de Laval. «Ces montants sont exagérés et ce sont toujours les contribuables qui payent au final, juge David de Cotis, président du Mouvement lavallois. Alors, on peut se poser les questions suivantes: est-ce un contrat taillé sur mesure? Est-ce que le comité exécutif travaille pour les citoyens ou les amis?»

Autre aspect qui soulève des questions, le 23 juin 2009, CIMA+ a écrit au directeur de l'ingénierie de la Ville de Laval pour demander que ses honoraires soient «rémunérés sur une base forfaitaire», en conservant le montant de 3,5 millions, et non plus horaire. La demande a été entérinée par le comité exécutif le jour-même lors d'une séance à huis clos tenue dès 10h20 le matin. À Laval, on assure qu'il s'agit d'une décision prise «d'un commun accord [...] pour éviter des dépassements de coûts» étant donné que les travaux vont durer plus longtemps que prévu.

La loi sur les cités et villes ainsi que la jurisprudence permettent-elles une modification à un contrat postérieur à son octroi sans retourner en appel d'offres? Voilà une question à laquelle les juristes du ministère des Affaires municipales n'ont pas voulu répondre au prétexte qu'il s'agit d'un avis juridique.

À ce jour, Laval a déjà octroyé pour 75 millions de contrats à six firmes de construction (Louisbourg, John Meunier, Kingston-Byers, etc.) pour la rénovation de ses trois usines. On ne nous a pas transmis les montants accordés aux firmes de génie.

L'administration Vaillancourt calcule aujourd'hui que la rénovation de ces trois stations approche les 187 millions de dollars. Une somme épongée à 50% par les gouvernements du Québec (Affaires municipales) et du Canada (47 millions chacun). En 2009, on estimait qu'il en coûterait «environ» 113 millions. Il s'agit d'un dépassement de coûts de 60%. «Ces estimations étaient en dollars de 2009», justifie Nadine Lussier.

Il faut préciser qu'il reste encore à construire un bâtiment à Pont-Viau et que l'on en est seulement à l'étape des plans et devis pour Sainte-Rose. «Les autres dépassements de coûts seront à la charge de Laval puisque l'enveloppe maximale est atteinte», avertit Émilie Lord, porte-parole du ministère des Affaires municipales. Elle précise que des vérifications sont effectuées par une firme externe avant d'émettre un chèque de remboursement.

La firme CIMA+ n'a pas voulu commenter et a plutôt renvoyé La Presse à la Ville de Laval pour répondre aux questions sur son contrat.

Avec la collaboration de William Leclerc

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