Voici la lettre envoyée vendredi à Jean Charest par la mairesse de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau.

Montréal, le 7 octobre 2011

Objet: Collusion et corruption dans l'industrie de la construction

Monsieur le premier ministre,

Le jeudi 29 septembre dernier, un journaliste de Radio-Canada m'interpellait au sujet de l'octroi d'un contrat de 670 000 $ à une compagnie dont l'un des principaux actionnaires serait lié au crime organisé. J'ai alors exprimé sans détour mon désarroi devant cette situation.

Je me suis lancée en politique pour implanter des initiatives de développement durable et pour améliorer nos services publics. Je désirais également assainir les pratiques ayant cours sur le territoire de notre arrondissement, alors que plusieurs allégations circulaient à cet effet.

Quinze mois plus tard, j'en suis venue à faire un triste constat. La collusion et le crime organisé dans l'industrie de la construction y sont si solidement implantés que la volonté et la détermination des élus municipaux ne suffisent pas. Tant à Montréal que dans l'ensemble du Québec, les élus du milieu municipal ont besoin que vous assumiez vos responsabilités et que vous agissiez fermement pour rétablir la situation.

Dans un premier temps, je considère, à l'instar du maire de Montréal, M. Gérald Tremblay, qu'il est nécessaire de revoir le cadre législatif dans lequel les villes octroient les contrats à la suite d'appels d'offres publics. D'une part, une municipalité doit être en mesure de négocier à la baisse le montant offert par le plus bas soumissionnaire si celui-ci est plus élevé que les estimations préliminaires. D'autre part, le passé des individus actionnaires doit être considéré et doit pouvoir être utilisé pour écarter des entreprises. Actuellement, il est beaucoup trop simple pour une entreprise fautive de redéployer ses activités sous une nouvelle personne morale et de soumissionner sans contrainte.

Par ailleurs, bien que cette révision législative soit nécessaire et urgente, s'y limiter ne ferait que remettre le problème à plus tard. La collusion est  érigée en système à Montréal. En mars dernier, mon parti, Vision Montréal, remettait un rapport au Bureau de la concurrence dans lequel plus de 300 contrats montréalais d'infrastructures (rues, trottoirs, eau) accordés entre 2006 et 2010 étaient analysés. Le résultat était troublant: il existe une division territoriale entre les entreprises qui atteignent des taux de succès de 100 % dans certains arrondissements, alors qu'ils échouent systématiquement ailleurs. Cette réalité est peut-être loin de votre quotidien, mais c'est la mienne et celle de plusieurs maires.

Une commission d'enquête publique permettrait d'aller au fond des choses, de saisir toutes les ramifications de la collusion, mais surtout, de s'attaquer au système et non seulement aux individus. Je souhaite moi aussi que «les bandits aillent en prison», mais qu'aurons-nous gagné collectivement s'ils sont aussitôt remplacés par d'autres?

J'arrête ici mon énumération des raisons qui militent en faveur d'une commission d'enquête publique. Vous et votre équipe les connaissez. Toutefois, les risques politiques qui pourraient être associés à la tenue d'une telle commission n'ont aucune commune mesure avec ceux qui planent actuellement sur la société québécoise.

Vous remerciant de votre attention, je vous prie d'agréer, monsieur le premier ministre, l'expression de mes sentiments respectueux.

Chantal Rouleau

Mairesse

Arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles