Dans certains villages, les week-ends d'été, il peut passer plus de 100 motos chaque heure. Une lectrice de La Presse, Solange Cantin, s'est résignée à déménager de son domicile de Saint-Placide, village des Laurentides traversé par la route panoramique 344, tant le grondement des moteurs lui était devenu insupportable. Elle nous a demandé de se pencher sur le sujet.

Christian Bergeron est un amoureux de la moto. Il est aussi un militant pour la défense et la promotion des droits et libertés des motocyclistes du Québec. Il adore sillonner les routes panoramiques du Québec au volant de sa rutilante BMW R 1200. Au cours de ses «meilleures années», il peut parcourir jusqu'à 25 000 kilomètres.

Cela peut sembler paradoxal, mais Christian Bergeron comprend bien «l'écoeurantite aiguë» des citoyens qui n'en peuvent plus d'entendre le vrombissement des motocyclettes dans leurs villages autrement si paisibles. Il juge toutefois que la majorité de ses confrères sont injustement montrés du doigt et paient pour une minorité de fautifs. Le véritable fléau, explique M. Bergeron, ce sont les silencieux modifiés.

«Il n'y a pas de différence de volume entre une moto réglementaire et une voiture», explique M. Bergeron, qui est également porte-parole du Comité d'action politique motocycliste (CAPM). «Nous estimons que 20% des motos au Québec ne sont pas en règle. L'été, dans des villages qui bordent la route 344, comme à Saint-André-d'Argenteuil, dans les Laurentides, il peut en passer 100 par heure. Si 20% d'entre elles ne sont pas réglementaires, ça veut dire que toutes les trois minutes, il y a un véhicule qui émet un bruit excessif qui passe.»

En décembre 2010, 140 608 motos étaient en droit de circuler au Québec, selon la SAAQ.

Au Canada, les constructeurs automobiles ne peuvent pas vendre des véhicules qui émettent plus de 82 décibels (son mesuré à une distance de 50 pieds). Selon le chef du service de l'ingénierie des véhicules à la SAAQ, Gaétan Bergeron, une motocyclette modifiée peut produire jusqu'à 110 décibels. L'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec calcule que 110 décibels correspondent au bruit produit par une scie mécanique ou un marteau piqueur à 1 mètre de distance.

«Chaque fois que l'on augmente un son de trois décibels, la puissance du bruit double, explique Gaétan Bergeron. Mais le niveau de tolérance peut varier selon le véhicule, car la perception du bruit dépend de sa fréquence.»

Au Regroupement québécois contre le bruit excessif, qui compte 1550 membres, on affirme que le bruit des motocyclettes constitue le premier objet de plainte.

Le problème du bruit des motocyclettes touche des citoyens aux quatre coins du Québec, mais surtout ceux qui vivent près des routes qui traversent des paysages bucoliques comme la 132, la 138 ou la 344.

Campagnes pour réduire le bruit: un bilan mitigé

Soucieux d'apaiser les tensions entre les villageois et les motocyclistes, le CAPM, en collaboration avec la Sûreté du Québec et la SAAQ, a mis sur pied une campagne de sensibilisation et d'affichage. L'expérience a d'abord été menée à Saint-André-d'Argenteuil l'an dernier, puis à Neuville et à Cap-Santé l'été dernier. Des pancartes qui demandent que les motocyclistes fassent preuve de civisme ont été installées dans les villages. Dans le cadre de journées de sensibilisation, toutes les motocyclettes qui passaient par ces villages ont été interceptées.

André Jetté, maire de Saint-André-d'Argenteuil, affirme que la stratégie a nettement amélioré la situation. «Ç'a a fonctionné, depuis, nous n'avons pas reçu une seule plainte de la part des citoyens. L'idée, ce n'était pas de chasser les motocyclistes, mais plutôt de les inviter à passer avec respect.»

Si l'expérience a été fructueuse dans certains villages, elle a engendré des tensions à Saint-Jean-Port-Joli, où le projet a été abandonné à la fin de l'été à la suite d'un boycottage lancé par des motocyclistes de la région. «Les commerçants n'étaient pas d'accord avec le fait que la campagne de sensibilisation cible uniquement les motocyclistes, ils jugeaient que c'était une forme de discrimination qui allait faire chuter le tourisme. Une pétition de 1200 noms a été déposée. Après le dépôt, nous avons décidé de retirer les panneaux, a expliqué le maire de Saint-Jean-Port-Joli, Jean-Pierre Dubé. Malheureusement, je pense que la campagne a été mal comprise par plusieurs.»

Nouveau règlement l'été prochain?

À l'heure actuelle, les policiers ne possèdent pas d'outils pour mesurer le nombre de décibels émis par les motocyclettes. Les autorités policières peuvent détecter les silencieux modifiés grâce au «test de la broche», une technique qui consiste à faire passer un fil de métal à l'intérieur du silencieux. Si la broche passe jusqu'au fond, cela signifie généralement que des éléments qui étouffent le bruit du moteur ont été retirés. Le conducteur se voit alors imposer une amende. Le hic, c'est que cette technique n'est pas infaillible, puisque certains véhicules réglementaires échouent à ce test. Elle nécessite également beaucoup de temps et des policiers formés pour le faire.

Afin de s'attaquer aux problèmes de bruit excessif, la SAAQ planche depuis trois ans sur la création d'un sonomètre. Les policiers qui doutent de la légalité d'une motocyclette pourront mesurer le nombre de décibels émis à même le véhicule. Le prototype serait pratiquement terminé. Il reste à modifier le Code de la sécurité routière et de faire approuver les changements à l'Assemblée nationale. «Nous aimerions que tout cela soit fait le plus tôt possible, d'ici à l'été prochain. Mais ça va dépendre des priorités du ministère des Transports.»

Le fondateur du Regroupement québécois contre le bruit excessif, Patrick Leclerc, croit que le gouvernement doit aller plus loin en adoptant une loi-cadre sur le bruit. «Nous devons changer la culture du vacarme. On fait face à un véritable problème social. Il y a des gens qui souffrent réellement du bruit excessif, des gens qui tombent malades, affirme-t-il. Il est temps que le gouvernement prenne ses responsabilités.»