Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Jacques Duchesneau, chef de l'Unité anticollusion (UAC).

1 Vous subissez une forte pression médiatique depuis quelques semaines. On imagine que vous vous y attendiez, mais trouvez-vous cela difficile à vivre?

J'ai déjà vécu des crises médiatiques, mais celle-là a pris une ampleur insoupçonnée. J'avais un travail à faire et je l'ai fait. Ma famille trouve ça moins drôle, en revanche.

2 Que pensez-vous de toutes ces caricatures qui vous dépeignent comme quelqu'un qui cherche l'attention des médias?

On a dit que j'avais un ego surdimensionné, que j'étais un électron libre. Or, je me suis tenu loin des médias depuis un an et demi. Ce sont eux qui sont venus me chercher, et parfois pour les mauvaises raisons.

3 Pourquoi être allé à l'émission Tout le monde en parle (TLMEP) avant de rencontrer le ministre des Transports et avant de vous adresser aux élus en commission parlementaire?

Parce qu'on a fait dire n'importe quoi à mon rapport. On a dit entre autres choses que les fonctionnaires du ministère des Transports sont tous des «pas bons». Le sous-ministre m'a même dit que des journalistes de Québec attendaient les employés le matin pour leur demander: «Avez-vous honte de venir travailler ici?»

Je leur devais à eux, les fonctionnaires, de rétablir les faits, et c'est ce qui m'a poussé à accepter l'invitation.

4 Vous attendiez-vous à une réaction aussi vive à l'annonce de votre participation à l'émission?

Je savais que ça réagirait. Cela dit, beaucoup de gens ont dit que je n'aurais pas dû accepter parce que je suis un employé de l'État. Or, ce n'est pas vrai: je suis contractuel. J'ai refusé de devenir membre de la haute fonction publique parce que je voulais garder mon indépendance. J'ai un contrat de trois ans, je l'ai fait en un an et demi. J'aurais pu l'étirer, mais on commençait à réentendre la même chose. Quand le mandat est fini, on passe à autre chose.

5 Comment se prépare-t-on à une commission parlementaire aussi médiatisée? En quoi est-ce différent d'une émission de télévision?

On ne dort pas beaucoup, je peux vous dire ça. J'ai passé la fin de semaine à réviser mon texte. La version que j'ai livrée était la treizième.

J'ai lu et relu le rapport, des gens de l'équipe m'ont aidé, une rédactrice m'a aidé à en récrire des passages, à préciser ma pensée. C'est très différent d'une émission comme TLMEP, pour laquelle je ne me suis pas préparé; j'y suis allé à coeur ouvert. Le message que je voulais faire passer était simple: ne traitez pas injustement des gens qui ne le méritent pas.

6 Qu'avez-vous pensé des questions qui vous ont été posées en commission parlementaire? Étaient-elles plus ou moins difficiles que celles posées à Tout le monde en parle?

Il y en a eu de plus importantes que d'autres. Il y avait une grosse couverture médiatique, c'était diffusé en direct sur RDI, tout le monde voulait faire passer son message. C'est peut-être la chose la plus difficile, dans un témoignage. Il faut écouter et comprendre le sens des questions. J'ai refusé de répondre à certaines qui étaient davantage des commentaires politiques. C'est toujours le piège. Quand on passe cinq heures et demie à se faire bombarder de questions, on se dit: «Il ne faut pas que j'en échappe une, car c'est celle-là qui va faire les manchettes. Personne ne l'a vu, mais j'avais mon iPad, durant mon témoignage. Si je me trompais dans une statistique, par exemple, quelqu'un de mon équipe ou mon fils avocat m'envoyait un court message avec le bon chiffre. Ça m'a permis de rectifier certaines informations durant les cinq heures.

7 Selon ce que vos enquêteurs ont découvert depuis 18 mois, la situation serait particulièrement inquiétante dans le monde politique municipal. Vous qui avez été candidat à la mairie de Montréal, avez-vous été vraiment surpris?

Non, même si j'ai tout de même été surpris par l'ampleur de la chose. Des entrepreneurs nous ont dit: «Vous venez nous voir comme si on était tous des bandits, mais allez donc voir du côté du monde municipal!» Ils nous ont pointé des dossiers en particulier. Mon équipe a échangé avec le Directeur général des élections à propos de ce que nous avons observé. Vous savez, on parle de crime organisé, mais on pourrait également parler de police désorganisée. Peut-être devrait-on regarder le financement des services de police municipaux si on veut qu'ils organisent des actions concertées.

8 Vous avez déjà déclaré qu'il ne faut pas vivre dans la peur. Vous arrive-t-il d'avoir peur?

Oui, j'ai constamment peur, mais je n'accepte pas de vivre dans la peur. Je tiens ça de mon père: je ne recule pas.

9 On dit beaucoup que, n'eût été le travail des journalistes d'enquête, on n'en saurait pas autant sur la corruption qui sévit au Québec. Êtes-vous d'accord pour dire que les médias ont joué un rôle important?

C'est écrit à la première page de mon rapport: sans les vrais journalistes d'enquête, on ne serait pas là aujourd'hui. Les journalistes ont sonné l'alarme, et on a fait la sourde oreille. À Palerme, une ville où le crime organisé est très présent, quand un rapport comme le mien est sorti, il y a plusieurs années, les gens ne l'ont pas cru. C'est seulement quand on leur a mis le nez dessus, que des juges ont été assassinés, qu'ils ont dit: «Oui, je pense qu'on a un problème.» Ce n'est pas notre rapport qui est explosif, c'est l'histoire qu'on raconte.

10 La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a réagi à vos propos concernant des journalistes qui «auraient joué le jeu du crime organisé». Que vouliez-vous dire précisément?

Je ne parlais pas de l'ensemble des journalistes, mais bien de trois individus en particulier. J'entretiens d'excellentes relations avec des gens qui sont honnêtes, pas avec ceux qui mentent. Jamais je n'ai refusé une entrevue à quelqu'un qui me posait des questions difficiles. J'aime le débat d'idées. Je n'ai jamais attaqué des gens, mais des idées, oui. Là-dessus, je suis conscient que je dérange.

TWITTER "1 DE MANUELLE LÉGARÉ @MANULASQUAW

Où vous voyez-vous dans trois ans?

Chez nous, en train de m'occuper de mes petits-enfants. Vraiment. C'est ça qui m'a choqué quand on a dit que j'avais rencontré François Legault. On a voulu miner le rapport avant qu'il sorte. Je n'ai pas beaucoup de certitudes, dans la vie, mais je sais que je ne retournerai pas en politique. Et je ne peux plus accepter un mandat du gouvernement libéral, car cela enlèverait de la crédibilité à mon rapport. Je termine mon doctorat sur le terrorisme aérien, j'enseigne à l'université, j'aime le contact avec les étudiants, il me stimule et m'oblige à demeurer à la fine pointe. Ma femme prend sa retraite en avril, je devrais déposer et soutenir ma thèse d'ici là. Ensuite, je passerai à autre chose.