Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre un acteur de l'actualité qui s'est retrouvé au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont il a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu à propos du projet de loi omnibus du gouvernement conservateur sur la criminalité.

1 Qu'est-ce que le projet de loi C-10 symbolise à vos yeux?

Les nouvelles mesures qu'il contient vont permettre aux familles des victimes de reprendre le pouvoir sur leur destinée. Je reçois beaucoup de félicitations et 99% d'entre elles proviennent de familles de victimes. Elles ont enfin l'impression d'avoir une voix. Je suis content de voir tout le chemin parcouru. J'ai l'impression d'avoir été écouté.

2 Le projet de loi omnibus comprend des mesures très sévères et très critiquées, comme les peines automatiques, qui ont suscité des réactions très vives dans les médias. Êtes-vous d'accord avec tout ce que renferme ce projet de loi?

En majeure partie, oui. Je rappelle que je ne défends pas les avocats de la Couronne, je représente les familles des victimes d'actes criminels. Je trouve que la critique de ce projet de loi porte davantage sur le titre de la loi que sur son contenu. J'entends par exemple dire qu'on emprisonnera des jeunes qui se trouvent en possession de marijuana, alors qu'on oublie d'ajouter «lorsqu'il sera démontré que c'était dans l'intention d'en faire le trafic». Il y a une nuance que bien des commentateurs ne font pas.

3 Avec les années, depuis la mort de vos filles, diriez-vous que votre colère a disparu? Et si oui, à quel sentiment a-t-elle fait place?

Il n'y a jamais eu de colère. Ce que les gens ont pris pour de la colère était de la perspicacité, du caractère. J'ai également fait preuve d'impatience lorsque des criminels étaient libérés bien avant la fin de leur peine. Mais de la colère, jamais.

4 Parmi les nombreux commentaires à votre sujet, certains avancent que votre action est motivée par la vengeance. Que répondez-vous à cela?

Jamais. Ni haine, ni colère, ni vengeance. Je n'aurais pas pu me consacrer à cette mission (la défense des familles des victimes) dans un tel état d'esprit. J'ai tout fait par amour pour mes filles, c'est ce que j'avais en tête. Je n'aurais jamais pu aller devant les familles pour leur parler de leurs droits si j'avais été animé par la haine.

5 Est-ce que vous avez l'impression d'être plus utile depuis que vous êtes sénateur?

Je suis plus influent. J'ai passé cinq ans à l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD), dont deux ans comme bénévole à temps plein. Je suis allé au plus urgent, je voulais que les familles des victimes aient droit à des ressources financières. Je vous rappelle que, à la mort de ma fille Julie, en 2002, j'ai reçu 600$ pour son enterrement. Je voulais aussi que les familles aient droit à du soutien thérapeutique. Une fois cela fait, la prochaine étape était d'aller au fédéral. Être sénateur, c'est plus qu'un privilège, c'est un honneur. Je le fais avec simplicité et humilité. Je me sens beaucoup plus utile aux côtés du ministre de la Justice et du ministre de la Sécurité publique, là où je peux exercer une certaine influence.

6 Certains estiment que les conservateurs ont récupéré votre combat. Que leur répondez-vous?

Durant les cinq années où j'ai été à la tête de l'AFPAD, j'ai frappé à toutes les portes politiques. J'ai reçu un accueil chaleureux de l'ADQ, qui, comme moi, défendait des idées de droite sur les questions de justice et de sécurité publique. Les libéraux étaient ouverts et ils ont même modifié quelques lois. Chez les péquistes, j'ai eu droit à une écoute passive. Au fédéral, le Bloc était assez sympathique à notre cause, mais je n'ai jamais reçu d'accusé de réception de la part des libéraux et du NPD. Si M. Harper m'a demandé de me joindre aux conservateurs, c'est que nous avions des atomes crochus. Est-ce une récupération politique? Je suis convaincu qu'il faut plus que cela pour nommer quelqu'un à ce poste. Il faut aussi quelqu'un qui ait une sensibilité pour le Québec, qui soit un bon porte-parole et qui ait une certaine crédibilité.

7 Trouvez-vous que, depuis que vous avez été nommé sénateur, la sympathie dont vous profitiez semble avoir disparu?

Je ne recevrais pas autant d'appels et de demandes d'entrevue si c'était le cas. Les idées que je défends aujourd'hui, ma philosophie, sont toujours les mêmes que lorsque j'étais à l'Association. On dirait que, lorsqu'on revêt la cape bleue des conservateurs, ce qu'on dit n'a plus de sens. Or, je n'ai jamais changé mon discours.

8 Est-ce que les médias vous traitent différemment?

J'ai compris que, une fois qu'on est sénateur, on n'est plus à l'abri des critiques des autres politiciens et des chroniqueurs. Je suis étiqueté «défenseur des idées et des positions de M. Harper», mais je fais une nuance entre les chroniqueurs, qui analysent la situation avec leurs valeurs, et les journalistes qui travaillent sur le terrain. Pour eux, je reste le même et on m'appelle encore quand il y a disparition d'enfant.

9 Est-ce difficile de se retrouver de l'autre côté de la clôture quand on a toujours bénéficié d'une certaine sympathie?

Oui. L'adaptation à la vie politiqueest difficile. Quand je suis parti encongé, en mars 2010, je me suis demandé: «Mais qu'est-ce que je fais là?» J'ai reçu de bons directs dans les six premiers mois et je trouvais que les coups venaient vite. Mais j'ai profité de ces six mois d'arrêt pour me recentrer sur ma mission, la défense des familles des victimes. Aujourd'hui, je sais pourquoi je suis là et je sais que je suis efficacelà où je suis.

10 Vous avez déjà dit que vous n'étiez pas intéressé par la politique active. Avez-vous changé d'idée?

Non. Je me rappellerai toujours l'expérience de Marc Bellemare, qui était allé en politique pour changer des choses et qui a été obligé de se plier à la ligne de parti sans pouvoir réaliser les changements qu'il souhaitait. J'aime mieux garder mon indépendance de sénateur. Je l'ai déjà dit à M. Harper, je ne resterai pas jusqu'à l'âge de 75 ans. Le jour où on aura adopté une charte des droits des victimes d'acte criminel, ma mission sera accomplie et ça s'arrêtera là.

TWITTER "1 de Geneviève Lefebvre, scénariste et productrice

Si on faisait un film sur votre vie, quelle serait la scène clé?

Sans doute le soir où on a retrouvé le corps de ma fille Julie. Elle était disparue depuis 10 jours. Pour moi, c'est comme si elle m'avait dit: «Papa, je suis morte pour donner un sens à ta vie. Je veux que tu défendes la cause de la violence faite aux femmes, il faut entendre une voix d'homme dans ce dossier-là.» Ce soir-là, ma vie a changé et je n'ai plus jamais été le même homme. J'ai regardé en avant, jamais en arrière, et je n'ai jamais ressenti de haine pour l'assassin de ma fille.