Le beau-père de Jennifer* a été arrêté en 2005. La jeune femme de 19 ans soutient qu'il lui a fait vivre l'enfer pendant une grande partie de son enfance. Six ans plus tard, le jour du procès de son bourreau était enfin arrivé.

C'était mercredi, deuxième jour de grève des procureurs de la Couronne du Québec. Comme tant d'autres victimes, la jeune femme s'est présentée au palais de justice de Montréal pour apprendre que la cause était reportée. Elle qui voudrait tant tourner la page sur toutes ces années d'horreur était découragée.

La première agression aurait eu lieu en 1998, alors qu'elle avait 6 ans. Elle dit avoir été agressée pendant cinq ans. Mercredi, c'était la quatrième fois qu'elle devait se présenter à la cour. Elle a témoigné contre l'homme de 46 ans à l'enquête préliminaire. Les deux fois suivantes, elle s'est présentée pour rien puisque la défense a demandé le report de la cause.

Cela fait deux jours que, aux piquets de grève, la procureure de la Couronne Marilène Laviolette pense à la cause de Jennifer. Elle ne peut qu'espérer que la jeune femme ne se décourage pas au point d'abandonner. «C'est le pire événement de sa vie. Elle pensait pouvoir mettre enfin cela derrière elle», dit la procureure, qui a sept ans d'expérience.

«J'espérais tellement qu'on ne serait pas obligés de faire la grève pour que le gouvernement nous écoute. J'ai choisi ce métier-là pour défendre la veuve et l'orphelin. On est tellement désolés... Mais si on est rendus là, c'est pour améliorer les services à la population», poursuit Me Laviolette.

Comme le beau-père de Jennifer est en liberté, son procès ne fait pas partie des services essentiels que doit rendre la Couronne. Inculpé de six chefs d'accusation de nature sexuelle, il doit retourner en cour le 17 mars pour fixer une nouvelle date de procès. Aussi bien dire que Jennifer devra attendre encore plusieurs mois, voire un an avant de pouvoir enfin tourner la page.

Peur de ne jamais obtenir justice

Joanie Dissegna réprime mal sa colère. En 2006, elle a été victime d'un accident de la route. Un an plus tard, le conducteur fautif a été accusé sous trois chefs de conduite dangereuse causant des lésions. Comme une dizaine d'autres témoins assignés dans cette cause, la jeune femme s'est présentée au palais de justice de Laval, mardi, jour prévu pour le début du procès. C'était aussi le premier jour de la grève des procureurs.

«Ça fait quatre ans et demi que la cause est reportée. Mardi, on m'a dit que cela pourrait aller à 2012. Je suis en colère et, en même temps, j'ai peur que le gars ne reçoive pas la peine qu'il mérite», dit la jeune femme.

L'accusé, un homme de 29 ans sans antécédent judiciaire, est soupçonné d'avoir circulé à une vitesse excessive sur l'autoroute 440 à la hauteur du boulevard Industriel, à Laval. Sa voiture aurait traversé le terre-plein pour heurter le véhicule dans lequel se trouvaient Mme Dissegna et un adolescent, qui ont tous deux été blessés. Une troisième personne a également été blessée.

Le président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales du Québec, Me Christian Leblanc, trouve «épouvantable» que des victimes déjà angoissées à l'idée de témoigner voient les causes reportées de la sorte.

De son côté, le Directeur des poursuites criminelles et pénales se dit aussi «désolé» des acquittements et des procès reportés en raison de la grève. Il y a encore eu un cas, hier, le cinquième depuis mardi, où un juge a décidé d'acquitter un accusé plutôt que d'accorder un report à la Couronne. L'homme était accusé de vol, et la Couronne demandait pour la troisième fois une remise de l'enquête préliminaire, selon la porte-parole du DPCP, Me Martine Bérubé. «On fait tout notre possible pour limiter les inconvénients de la grève pour les victimes et les témoins, mais c'est certain qu'il va y en avoir», ajoute l'avocate.

Le réseau des centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) ne croit pas que les victimes ressentent d'insatisfactions majeures par rapport à la grève pour le moment. Le réseau appuie d'ailleurs la demande des procureurs qui concerne l'augmentation substantielle de leurs effectifs. «Les procureurs sont tellement débordés, on sait qu'ils souhaiteraient consacrer plus de temps aux victimes», souligne la directrice générale du CAVAC de la Mauricie et porte-parole du réseau, Sylvie Biscaro.

* Un interdit de publication nous empêche de dévoiler son identité.

Le médiateur Jean-Pierre Gosselin a convoqué le gouvernement et les procureurs de la Couronne à une rencontre de médiation qui aura lieu aujourd'hui à Montréal. La rencontre vise à dénouer l'impasse. Les procureurs demandent un rattrapage salarial de 40% pour atteindre la moyenne canadienne. La Presse Canadienne