Des adolescents qui montrent des vidéos pornos à de toutes petites filles pour les initier à la sexualité et les pousser à faire la même chose, Caroline de Brouwer en a rencontré plusieurs.

C'est elle qui a implanté l'an dernier, au centre jeunesse de la Montérégie, un nouveau programme pour jeunes auteurs d'agressions sexuelles (PACIS).

Il faut avoir le coeur solide pour entendre la criminologue évoquer des cas plus lourds encore. Ceux de fillettes de 2 et 4 ans forcées d'«aller jusqu'au bout» par un frère, un cousin ou un gardien. Celui d'un tout-petit, agressé par un grand dans son bain.

Sa collègue, Marie-Josée Deshaies, a tout entendu. «Les jeunes se racontent toutes sortes d'histoires, comme: "Elle le voulait." "C'est de sa faute si elle n'a rien dit." Et le classique: "Je suis un gars, j'ai droit au sexe."»

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où le programme PACIS est né il y a cinq ans, une intervenante a vu beaucoup de jeunes ayant profité d'enfants qu'ils gardaient. D'autres avaient poussé des petits à jouer à «Vérité ou conséquence», version XXX. Dans cette région, c'est «la présence de plus en plus importante» de jeunes agresseurs qui a convaincu le centre jeunesse de dégager un intervenant pour s'en occuper à temps plein, lit-on sur le site internet présentant le programme.

À l'échelle du Québec, chaque année, plus d'une centaine d'adolescents commettent une agression sexuelle. Environ deux fois sur trois, ils choisissent des enfants. Et deux fois sur trois, ils s'en prennent à une fillette.

«C'est la pointe de l'iceberg. Tout ce qui a trait à la sexualité reste tabou», estime Mme de Brouwer, qui travaille maintenant à l'Association des centres jeunesse du Québec.

Les 11 familles qu'elle a connues en Montérégie l'an dernier ont souvent fini par reconnaître qu'elles avaient eu tort de fermer les yeux. Forcés de participer à une intervention de groupe avec leur ado de 13, 14, 15 ou 16 ans, les parents se sont soudain rappelé des incidents survenus des années plus tôt. «Avec le recul, ils nous disent: "C'est vrai, quand il avait 9 ans, il y a eu cet épisode avec sa cousine au terrain de camping, au parc ou encore à la piscine..." relate Mme De Brouwer. La famille avait banalisé en disant: "Ils jouaient au docteur." Mais 9 ans, c'est trop vieux pour parler de simple curiosité.»

Cousin, cousine

Les adolescents visent presque toujours des petits de leur entourage. Un phénomène très évident à la clinique spécialisée du Centre de psychiatrie légale de l'Institut Philippe-Pinel. Selon le bilan présenté la semaine dernière au congrès de l'Association des centres jeunesse, 82% des jeunes suivis s'en sont pris à leur frère ou leur soeur, leur demi-frère ou demi-soeur, leur cousin, leur camarade de classe ou de jeu, ou encore à un enfant qu'ils gardaient (voir encadré).

«Pour les jeunes, c'est souvent une question de proximité avec des enfants - souvent beaucoup plus jeunes -, parce qu'ils sont plus faciles à manipuler», explique Nathalie Auclair, criminologue à Pinel.

Lorsqu'un enfant est agressé par son frère, il se sent captif, déchiré, et peut mettre beaucoup de temps à le dénoncer. «Mais parfois, l'enfant finit par en parler à l'école. Ou le parent s'en rend compte et intervient», dit-elle.

Depuis 1992, 1800 adolescents de 12 à 18 ans ont été évalués au Centre de psychiatrie légale. Au fil des ans, la clientèle a rajeuni et s'est beaucoup diversifiée, remarque Nathalie Auclair.

Aujourd'hui, moins de la moitié des jeunes dirigés vers le Centre proviennent du réseau des centres jeunesse. Les autres vivent avec leur famille. «Et il ne s'agit pas toujours de familles dysfonctionnelles», indique Nathalie Auclair. «Certains viennent de milieux favorisés, et même très favorisés», renchérit Caroline de Brouwer.

Même dans pareils cas, l'enfant sent à tout le moins un malaise, des frustrations face à sa famille. Il peut se sentir négligé ou jaloux, manquer d'attention, mal vivre le remariage d'un parent et en vouloir à sa nouvelle demi-soeur.

Quand les parents sont carrément absents, négligents ou violents, les risques explosent. D'après les recherches, dans 40% des cas, le jeune agresseur sexuel a lui-même subi des sévices sexuels et été profondément affecté par ce traumatisme. «Le jeune peut dire: "Si mon père me l'a fait, c'est correct que je le fasse"», expose Caroline de Brouwer.

La pornographie - que consomment 40% des jeunes ayant commis une agression sexuelle - joue aussi un rôle chez les jeunes carencés. «La pornographie ne provoque pas l'agression directement, ce n'est pas la cause. Elle peut par contre stimuler leurs idées et créer des distorsions», explique Nathalie Auclair.

Un vide à combler

Chez les jeunes vus à Pinel, environ 80% ont un problème avec leurs relations, un vide qu'ils comblent avec la sexualité. «Ils sont isolés, ont une très faible estime d'eux-mêmes et peu de sources de valorisation normales. Alors ils se réfugient là-dedans», expose Nathalie Auclair.

Plusieurs sont malheureux à l'école, ont des retards, ne se sentent pas valorisés. Ils sont par ailleurs très immatures, ont beaucoup de mal à gérer leur colère.

Conclusion: alors qu'il y a 20 ans, on ne s'intéressait qu'à leurs problèmes sexuels, sans trop s'inquiéter de leurs familles, on veut désormais s'attaquer à tous leurs déficits et rééduquer aussi leurs parents.

«Les jeunes doivent acquérir une qualité de vie et une sexualité plus saine pour ne plus être tentés de plonger là-dedans, dit Mme Auclair. La pire chose à faire, c'est de les ostraciser. Il faut au contraire faire croître leur sentiment d'appartenance.»

Ils doivent absolument admettre leur secret en thérapie. Par contre, on n'avisera ni l'école ni le monde entier, souligne Mme Auclair. «Ils nous demandent s'ils seront obligés de le dire un jour à leur blonde. D'après nous, mieux vaut l'éviter.»