On le savait, le dernier roman de Nelly Arcan parle de suicide. La tentation d'y lire une lettre d'adieu est grande, quelques semaines après sa mort. Par suicide. Mais ce n'est pas ce que l'on retient de Paradis clef en main, une fois la dernière page retournée.

Le vrai thème poignant de ce roman est le rapport à la mère - il était tout aussi viscéral dans Putain. Le suicide n'est qu'une diversion de la souffrance causée par cette relation passionnelle faite d'amour et de haine, dans cette envie brûlante d'en finir ou de s'y engloutir complètement. Avec ou sans la mère, la vie est insupportable. «Ma mère, je ne peux pas l'aimer. Ce n'est pas contre elle. Ce n'est pas une manière d'enfant gâtée de tester son endurance comme celle de Job. La haine est un garde-fou. La haine est un écran solaire qui me protège des intentions mortelles de ce qui brille trop fort, de ce qui est plus grand que moi, même si cette grandeur prodigue des soins. (...) Ma mère, je ne peux pas la haïr non plus. C'est ça le pire.»

La narratrice, Antoinette Beauchamps, est devenue paraplégique à la suite de son suicide raté, et pourtant organisé de main de maître par l'entreprise Paradis clef en main, dont la promesse d'affaires est d'assouvir le désir de mort de ceux pour qui «la vie est une maladie à guérir». Antoinette, inspirée par son prénom, a choisi la guillotine, comme celle qui a mis fin aux jours de la reine Marie-Antoinette. Ce n'est malheureusement pas la tête qu'elle a perdue, mais les jambes; ce qui la ramène, presque avec délice, dans une régression où elle est à nouveau à la merci de sa mère, qui ne peut s'empêcher de guillotiner son nom - elle la nomme Toinette, elle entend Toilette. «Mère et merde, une autre parenté de mots, que je ne commenterai pas: elle et moi, on est dans le même bain, on vient du même moule.»

Régression anale, évidemment, tant Antoinette se délecte de façon scatologique de cette impuissance semblable à celle d'un enfant. Mais elle écrit. Sur le plafond de sa chambre grâce à un système qui enregistre sa voix. «Ma souffrance morale à moi, elle s'écrit au fur et à mesure au plafond qui me surplombe de son omniscience. En quelque part, c'est à ma mère qu'elle s'adresse.»

Elle raconte tout de ses démarches auprès de Paradis clef en main qui, en retour, lui a fait passer de nombreuses épreuves - car on n'y offre pas la mort sans être certain de la conviction absolue du suicidaire. Devant tant d'embûches avant d'obtenir le résultat, le récit démontre surtout à quel point le projet de mourir est plus important que la mort elle-même, comme s'il fallait gagner énergiquement sa mort plutôt que de la subir passivement, dans un processus harassant où le but devient pratiquement secondaire.

Mais voilà, Antoinette n'est pas morte et ne veut plus mourir. «Vouloir mourir est souvent inexplicable, mais vouloir vivre après avoir tant voulu mourir, ça s'explique; la mort a déjà eu lieu, elle a déjà été consommée, et le corps, satisfait d'être allé au bout de lui-même, de s'être aventuré à la frontière de la mort, renaît. Une affaire christique. D'être revenue d'entre les morts m'a transformée. Je suis une nouvelle personne, je suis une autre que moi. C'est, je crois, ce que je souhaitais.»

Et en regardant le fauteuil roulant offert par sa mère, elle dit: «Cette chaise, c'est l'amour d'une mère. Le seul amour dont une mère soit capable, l'amour dont seule une mère est capable: le don de soi, jusqu'à imposer la vie, la rendre obligatoire, jusqu'à forcer chez ses enfants la marche à suivre pour exister, en dépit de tout.»

Paradis clef en main, c'est du Nelly Arcan tout craché. Dans le style, dans les thèmes, où celui de l'apparence est cependant beaucoup moins exploité que dans ses autres romans. Ses lecteurs ne s'y sentiront pas perdus, et oublieront même pendant un peu plus de 200 pages qu'ils ont perdu un écrivain dont la voix était si vivante. Le sentiment de perte revient quand on se rappelle que ce livre est son dernier.

Paradis clef en main

Nelly Arcan

Coups de tête

*** 1/2