Ça sent la fin de régimes dans le monde municipal. Un régime, même pourri, peut mourir longtemps. Sauf qu'après ce dimanche, quels que soient les résultats, on ne pourra pas décemment continuer comme avant. Comme si on ne savait pas.

Si cette campagne a eu une vertu, c'est bien d'étaler en concentré le pourrissement de la vie politique municipale dans plusieurs villes de la région de Montréal.

Que faudra-t-il pour que ça change? Il faudra d'abord exposer de manière systématique ces régimes, dans une commission d'enquête.

Puis, il faudra quelques Jean Drapeau. Attention: j'entends ici non pas le stéréotype du maire de la grandeur montréalaise, des Jeux olympiques ou de quelque autre projet plus ou moins pharaonique.

Non, je pense au Jean Drapeau dont on ne parle jamais, celui des premières années. Ce jeune avocat idéaliste qui est entré en politique en 1954 avec un mandat essentiel: nettoyer une ville où la corruption était érigée en système sous Camilien Houde.

À Montréal et ailleurs dans la région, tout indique que des systèmes de collusion et de favoritisme sont à l'oeuvre et gangrènent la liberté des marchés et la vie démocratique.

Les politiciens en place nous disent ou bien que ce ne sont que des rumeurs, ou bien qu'ils n'y sont pour rien, ou alors, comme Gérald Tremblay, le matin qu'il craint pour sa sécurité, et le soir que tout est sous contrôle.

Innocents, tous innocents, désespérément innocents. Qu'a-t-on besoin de politiciens innocents s'ils sont incapables de voir ce qui se passe dans leur ville ou s'ils sont collés sur les lobbies financiers qui entendent gouverner les villes?

Laval et son monarque

Laval est un cas fascinant. Pendant des années, un organisateur politique du maire-monarque Gilles Vaillancourt recevait environ 3000$ par mois pour faire le balayage électronique des locaux de l'hôtel de ville, afin d'y détecter des micros.

On s'est interrogé à l'époque sur le fait que le contrat avait été donné sans véritable appel d'offres. Mais au fait, pourquoi craint-on tellement l'écoute électronique au bureau du maire?

Après une série de révélations troublantes sur le copinage lavallois, Québec avait été forcé de commander une enquête sur l'administration Vaillancourt.

Jacques Martin, vérificateur nommé par Québec, avait conclu sobrement à une «apparence de favoritisme». Il critiquait le fait qu'on donne des contrats aux professionnels sans appels d'offres.

Le chef de l'opposition à l'époque avait réclamé la démission du maire Vaillancourt. Celui-ci, nullement impressionné, a promis plus de transparence, a concocté quelques comités, et la vie a continué.

Depuis 15 ans, la presse a étalé une série d'affaires de copinage à Laval, mais tout ça coule sur le dos très lisse de Gilles Vaillancourt et finit dans les usines de traitement des eaux politiques usées.

Pas plus tard que la semaine dernière, La Presse a montré qu'à Laval, encore plus qu'à Montréal, quelques entrepreneurs-clés se partagent le gros des contrats. Toujours les mêmes. Bah, s'ils sont les meilleurs, il n'y a rien de mal, n'est-ce pas?

Sans doute, mais au Tour de France comme dans la construction, ça dépend de comment on devient le meilleur. Un ex-fonctionnaire cité par Radio-Canada et La Presse nous explique qu'il a reçu à l'avance la liste des gagnants et perdants d'un appel d'offres pour la voirie de Laval en 2003. Il a une preuve de collusion entre entrepreneurs. La SQ a fait une enquête qui n'a rien donné.

Un homme d'expérience comme Gilles Vaillancourt, soucieux de transparence et de démocratie, devrait veiller efficacement à l'intégrité des marchés publics dans sa ville. Combien faudra-t-il d'exemples pour convaincre les Lavallois qu'il échoue lamentablement?

Le notaire de Longueuil

À Longueuil, le notaire Jacques Goyette a beau n'être en politique municipale que depuis quatre ans, il succède à Claude Gladu à la tête d'un parti au pouvoir depuis 27 ans.

L'homme a été le notaire de plusieurs promoteurs importants au fil des ans, y compris de promoteurs dont les projets étaient passés au conseil municipal pendant qu'il y siégeait. Il est en affaires, à Bromont, avec un des plus importants promoteurs immobiliers de Longueuil. Il soutient qu'il n'avait pas à déclarer cet intérêt, puisqu'il est en dehors de la ville. Mais comme son partenaire est responsable d'un grand projet immobilier à Longueuil, et que M. Goyette est vice-président du comité exécutif, comment ne pas voir qu'il y a un problème... appelons ça d'indépendance d'esprit?

Le même M. Goyette est celui qui a présenté, en 2007, un règlement municipal ouvrant la voie au projet «Faubourg champêtre». Le promoteur se trouve à être un client de M. Goyette, et la plupart des contrats notariés de ce projet ont été confiés à la firme de M. Goyette.

Tout ça avec la bénédiction des conseillers juridiques et éthiques consultés par M. Goyette.

Même s'il a quitté son bureau de notaires, la proximité de M. Goyette avec toute une série de promoteurs le placera constamment en situation potentielle de conflit d'intérêts s'il est élu pour succéder à Claude Gladu.

On a l'impression d'une sorte de club privé qui dirige cette ville en se gargarisant de respecter la loi. Comme s'il suffisait de ne pas violer la loi pour servir l'intérêt public.

Au moins, celui-là a une opposition sérieuse en Caroline St-Hilaire, ancienne députée bloquiste.

Montréal

Que dire de plus sur Montréal, sinon que Gérald Tremblay est le maire le plus innocent qu'on ait vu de mémoire de journaliste? Innocent et coupable de l'être.

Tout ça sent la fin de régime. Tout ça appelle un grand vent de changement. Il me semble qu'il souffle comme il n'a pas soufflé depuis longtemps.

yves.boisvert@lapresse.ca