Pendant une année complète, une publicitaire décide de porter la même robe; une ex-avocate et mère de cinq enfants lit un livre par jour; une artiste de Chicago suit tous les conseils donnés par Oprah Winfrey; une secrétaire déprimée réalise les 536 recettes de la bible de Julia Childs; une famille new-yorkaise réduit son empreinte écologique à presque zéro - adieu frigo, laveuse, télévision, café, ascenseurs, restaurants, taxis et papier hygiénique! Qu'est-ce qui motive ces blogueurs extrêmes?

Certains les ont qualifiés de stunt bloggers et d'opportunistes parce que les meilleurs d'entre eux accèdent rapidement à un statut de quasi-célébrité.

Julie Powell a publié un livre relatant son expérience et a même inspiré le film Julie and Julia, avec Meryl Streep. Colin Beavan, alias No Impact Man, a lui aussi publié un livre et participé à un documentaire sorti le mois dernier aux États-Unis. Living Oprah sera en librairie en janvier. The Uniform Project, toujours en cours, a fait parler de lui par tous les blogueurs et magazines de la planète mode et sera, un jour, documenté dans un bouquin, nous assurent ses fondatrices.

Mais cela fait-il de ces blogueurs et blogueuses des opportunistes assoiffés de reconnaissance et d'attention médiatique?

La plupart d'entre eux ont commencé leur projet dans l'anonymat total. Ils doivent leur succès au bouche à oreille, aux réseaux sociaux comme Facebook et Twitter et, finalement, aux médias, qui se sont intéressés à leur histoire, souvent au détriment de leur cause et de leur motivation.

«Une fois que notre histoire est racontée par les médias, il y a une espèce de mise à plat, de banalisation du projet, et les gens commencent à chercher les failles, explique Robyn Okrant, auteure de Living Oprah, une expérience qui s'est déroulée du 1er janvier au 31 décembre 2008. L'idée que nous nous dévouons corps et âme à faire quelque chose de très exigeant, de parfois un peu extrême et ridicule, certes, mais avec une intention positive néanmoins, finit par se perdre.»

Pourquoi?

Mme Okrant, comédienne et professeure de yoga, a commencé le blogue Living Oprah par curiosité. Entourée de femmes qui se jugeaient très sévèrement, elle a voulu suivre tous les conseils donnés par Oprah Winfrey pour voir si la dame détenait réellement la clé du bonheur. C'était une expérience sociale.

«Finalement, ça m'a donné une grande leçon d'humilité. Étant artiste et yogi, je pensais être au-dessus de tout ça, mais j'ai réalisé que je me jugeais et que je me comparais autant que les autres. Et moi aussi, je passe mes journées à dire quoi faire aux gens. La différence, c'est que je n'ai pas une tribune aussi importante qu'Oprah!»

Sheena Matheiken, directrice de création dans une boîte de pub, a pour sa part eu l'idée de The Uniform Project pendant un congé professionnel de six mois. «J'étais au bord de l'épuisement à force de travailler de longues heures. J'avais envie de réaliser un projet plus personnel.»

Ironiquement, le projet démarré le 1er mai l'a surchargée encore plus, puisqu'elle a conservé son boulot. «C'est certainement très ironique, mais en même temps, c'est une occasion incroyable. Il m'arrive des choses extraordinaires, en ce moment, et c'est si valorisant que ça ne me dérange pas d'être plus occupée que jamais. J'espère que ça me donnera un jour la possibilité de faire certains choix qui me combleront et me permettront d'avoir une vie plus équilibrée.»

Les origines

En fait, la démarche n'est pas nouvelle, mais le support et le mode de diffusion ont évolué. Plusieurs artistes et auteurs se sont déjà prêtés à ce type d'expérience. Dans le cas du Uniform Project, par exemple, il faut rappeler qu'une artiste de Seattle, Alex Martin, avait réalisé un projet semblable dans le quasi-anonymat, intitulé Little Brown Dress. Dans un registre plus grand public, souvenons-nous aussi d'Une année en Provence, de Peter Mayle.

Au cours des cinq dernières années, les «mémoires initiatiques» ont explosé. Il n'y a qu'à penser à Eat, Pray, Love, qui raconte une année dans la vie de la journaliste Elizabeth Gilbert; à 365 Nights, où Charla Muller raconte comment elle a eu des rapports sexuels avec son mari chaque jour pendant un an, et à la trilogie de A.J. Jacobs: The Know-it-all (l'encyclopédie Britannica de A à Z en un an), The Year of Living Biblically (un an à vivre selon la Bible), et The Guinea Pig Diaries (un an à faire le cobaye pour toutes sortes d'expériences).

Démarches positives

Sommes-nous en présence d'un nouveau genre littéraire, de militantisme nouveau ou de méthodes modernes de thérapie et d'autoréalisation?

«Dans le cas de Julie Powell, l'auteure du livre Julie and Julia, par exemple, je vois avant tout une personne qui avait besoin de se prouver qu'elle était capable de faire quelque chose d'extraordinaire dans la vie», explique Milton Campos, professeur de communications à l'Université de Montréal et titulaire d'un doctorat en psychologie sociale.

«Cette personne cherchait probablement des appuis extérieurs qui allaient la forcer à arriver au but qu'elle s'était donné. Elle s'est inventé une contrainte extérieure qui l'a obligée à aller au bout de son projet. Cette contrainte était la honte sociale qui aurait découlé du fait de ne pas réussir. Plus il y avait de réactions sur le blogue, plus elle se sentait obligée de tenir parole.»

Sheena Matheiken nous confirme que le soutien des internautes est extrêmement précieux dans sa démarche. «Le soutien des gens qui laissent des commentaires sur le site me donne du pep. Ça nous aide beaucoup, Eliza et moi, à nous rappeler qu'on fait ça pour une bonne cause.»

Françoise Dulac, sociologue à l'École supérieure de mode, voit dans le phénomène quelque chose de très positif. «Ce ne sont pas des défis gratuits et sans conséquence, ce sont des démarches qui amènent les gens à se questionner sur leurs habitudes de vie, de consommation, etc. Même un projet apparemment anodin comme Julie&Julia a pu amener les gens à redécouvrir leurs livres de recettes et à aller un peu moins au restaurant. Quant au Uniform Project, il pourrait peut-être freiner un peu la consommation et amener les gens à redécouvrir leur garde-robe.»

Chose certaine, ces cascadeurs du blogue soulèvent des émotions fortes dans notre société en mal de héros.

Dumas, ÈveQui sont-ils?

Voici quelques suggestions de blogues et de sites de défi personnel.

The Uniform Project

Sheena Matheiken a décidé qu'elle porterait la même petite robe noire (créée par Eliza Starbuck) pendant une année complète, de 365 manières différentes. Elle en est aujourd'hui au 182e jour. Le projet est à la fois exercice de style et commentaire ludique sur la surconsommation qui invite les gens à «magasiner» dans leur propre garde-robe, à sortir de leur zone de confort et à devenir plus créatifs dans leur habillement. Finalement, The Uniform Project est aussi une collecte de fonds pour la fondation Akanksha, qui permet aux enfants des bidonvilles d'aller à l'école; si on se fie aux dons faits jusqu'à maintenant, environ 70 enfants indiens pourront le faire.

No Impact Man

Colin Beavan, son épouse et leur petite fille de 2 ans ont tenté de réduire leur empreinte écologique à presque zéro pendant un an. Leur but? Tenter de trouver des solutions de tous les jours à la crise environnementale et peut-être en inspirer d'autres à faire de même, à moindre échelle. L'expérience No Impact Man a eu lieu de novembre 2006 à novembre 2007.

Living Oprah

Robyn Okrant, une artiste de Chicago, a voulu voir quel genre de vie elle mènerait si elle suivait pendant un an tous les conseils donnés par Oprah Winfrey. Évidemment, en plus de passer près de se ruiner financièrement, elle s'est souvent retrouvée dans des situations absurdes et contradictoires. Le livre qui raconte son expérience, vécue en 2008, sera en librairie à compter de janvier.

Read All Day

C'est pour des raisons personnelles, mais aussi pour revaloriser l'acte de lire, que Nina Sankovitch a décidé de dévorer un livre par jour pendant un an. Elle prend une journée pour lire et publie ses impressions le lendemain, sur son blogue. Ex-avocate diplômée de Harvard, la dame de 46 ans possède une intelligence au-dessus de la moyenne. Maman de quatre garçons de 16, 14, 11 et 8 ans, elle ne travaille pas à l'extérieur de la maison. Elle a même dû embaucher une femme de ménage pour lui donner un coup de main. Le projet vient de prendre fin.