Pour combler un déséquilibre budgétaire actuel d'environ 200 millions et afin de se préparer adéquatement aux difficultés financières à venir, l'administration du maire Gérald Tremblay envisage secrètement une hausse des taxes de 16% pour les 4 prochaines années, dont 5,2% d'impôts fonciers en 2010, a appris La Presse.

Avec la taxe de l'eau de 0,8%, la hausse totale des taxes pour un contribuable résidentiel serait de 6% l'an prochain, soit quatre fois plus que le taux d'inflation, un niveau que Gérald Tremblay a évoqué durant la campagne électorale comme étant à peu près la hausse qu'il envisageait.

D'autres augmentations sont prévues pour éponger en partie ce déséquilibre: une nouvelle taxe sur les stationnements privés, une augmentation des tarifs des transports en commun de 3,5%, une hausse des droits de mutation et une hausse de la quote-part des villes défusionnées, qui pourrait atteindre 14% par rapport à 2009.

Ce n'est pas pour rien que le chef d'Union Montréal a déclaré que les projets annoncés par Louise Harel et Richard Bergeron étaient «irréalistes» dans le contexte financier actuel. M. Tremblay a été informé que la crise économique et la baisse des revenus sont telles que la prochaine administration devra augmenter de façon radicale les taxes, et ce, le plus tôt possible. La stratégie retenue est d'étaler la hausse sur quatre ans: 6% en 2010, 4% en 2011, 3% en 2012 et 3% en 2013. L'impôt foncier pour le secteur non-résidentiel atteindrait 6,7% en 2010.

L'administration Tremblay a gelé les charges fiscales générales ces quatre dernières années, malgré la croissance économique, ce qui ne lui a pas permis de se donner une marge de manoeuvre. Ainsi, quel que soit le candidat élu dimanche soir, il se retrouvera avec la tâche ardue de devoir finaliser les termes du budget 2010 qu'il ou qu'elle devra présenter en décembre.

C'est sur cette planification compliquée que s'est penché, ces derniers mois, le comité du budget, formé du conseiller responsable des Finances, Sammy Forcillo, du président du comité exécutif, Claude Dauphin, et de la directrice générale, Rachel Laperrière. Plusieurs rencontres ont eu lieu à ce sujet entre le maire, Mme Laperrière et le trésorier Robert Lamontagne, notamment une, déterminante, le 5 octobre.

La hausse de 3,5% des tarifs de la Société de transport de Montréal (STM) va au-delà des annonces du président du conseil d'administration de la STM, Michel Labrecque, candidat d'Union Montréal à la mairie du Plateau-Mont-Royal, qui a déclaré le 9 octobre que les usagers des transports en commun «acceptent des hausses de tarifs proportionnelles à l'inflation si ces hausses permettent d'améliorer les services». Or, une hausse de 3,5% est deux fois plus importante que l'inflation actuelle moyenne de 1,5% (septembre 2009).

Malgré la stratégie envisagée, il manquerait 50 millions pour combler le trou de 200 millions. Il faudra donc trouver d'autres idées pour aller chercher cette somme, à moins que Québec fournisse une aide.

Des villes défusionnées vont souffrir

La stratégie de l'administration Tremblay ferait très mal aux 15 villes de l'agglomération qui devraient encaisser une augmentation de leur quote-part de 14%, soit 45 millions de plus que la quote-part de 321 millions en 2009. Cette hausse se traduirait par un choc fiscal de plus ou moins grande ampleur dans ces 15 villes, dépendamment de leur richesse foncière.

Délicate, la situation a été présentée récemment par l'administration municipale lors d'une réunion du comité du budget de la Ville, élargi aux maires Karin Marks (Westmount), Maria Tutino (Baie-d'Urfé) et Edgar Rouleau (Dorval). À peine leur a-t-on montré les projections financières que les documents leur ont été enlevés des mains. L'équipe du maire ne voulait pas que les villes de banlieue créent une controverse en pleine campagne électorale. Et les villes de banlieue sont coincées car elles ne veulent «en aucun cas» favoriser l'élection de Louise Harel.

Du coup, la stratégie était que «l'on tienne ça mort jusqu'au 1er novembre». «Élu, le maire Tremblay pourrait dire ensuite qu'il ne savait pas, qu'il avait été mal informé ou que la situation est plus grave qu'il ne l'avait prévu», nous a dit une source.

C'est la raison pour laquelle le maire n'aurait pas précisé ses intentions fiscales lors de la campagne électorale. Hier soir, l'attaché de presse du maire, Martin Tremblay, a dit que «plusieurs scénarios sont étudiés dans l'élaboration d'un budget». «Vous comprendrez que nous ne ferons aucun commentaire sur le budget avant son dépôt», a-t-il ajouté.

Le maire de Dorval, Edgar Rouleau, a dit à La Presse hier que la ponction prévue représente pour sa ville de 600 000$ à 700 000$. Il devra la combler avec une hausse de l'impôt foncier. Et encore, a-t-il dit, ce n'est pas sa ville qui va le plus souffrir. Car les actifs immobiliers de Dorval, avec notamment l'aéroport, lui donnent un coussin. Mais ce n'est pas le cas partout. Dans Montréal-Ouest, le maire Campbell Stuart, qui achève sa carrière politique dimanche, a dit que ce sera «épouvantable».

«C'est toujours la même histoire, a-t-il dit. Ils avaient dit l'année dernière que ce serait encore pire cette année. Ce qu'ils préparent à Montréal, c'est secret. On a l'obligation de ne pas en parler. Les villes défusionnées devraient faire un peu de bruit pour ne pas se trouver dans le même pétrin, comme toujours. Et parler au gouvernement québécois car (à Montréal), ils se préparent à faire des dégâts. L'augmentation va être épouvantable.»

«Ça ne donne rien de faire quoi que ce soit, a dit de son côté le nouveau maire de Westmount, Peter Trent, élu par acclamation le 2 octobre. On va s'asseoir avec le prochain maire pour voir ce qu'on va faire. On va regarder comment on peut définir les coûts justifiables liés à l'agglomération. C'est loin d'être clair.»

Le comité exécutif de Montréal a été informé récemment que la situation financière est encore problématique, mais, selon nos informations, Gérald Tremblay ne lui a pas présenté les scénarios d'imposition. Seuls Claude Dauphin et Sammy Forcillo sont au parfum.

Emprunter ou imposer?

Aujourd'hui, alors que la crise perdure et que Montréal a besoin d'investissements pour redorer son blason, faut-il emprunter ou imposer? Il faut faire un peu des deux, répond Pierre Hamel, professeur chercheur à l'Institut national de la recherche scientifique.

«Chaque fois qu'on refuse de suivre l'inflation, on se prive de quelques dizaines de millions, dit le professeur Hamel. Une des erreurs importantes au début du deuxième mandat de M. Tremblay a été de ne pas avoir laissé l'impôt au niveau de l'inflation. Ce n'est pas énorme, mais c'était quelques dizaines de millions que l'on n'a pas chaque année. Il faut au minimum du minimum prendre l'inflation. Les gens ne sont pas bêtes. Tout augmente, pourquoi cela n'augmenterait pas du même ordre?» Hier matin, lors d'un débat organisé à la radio 98,5 FM, Gérald Tremblay a dit qu'«il faut au moins être réaliste et dire qu'il doit y avoir un ajustement au moins au niveau de l'inflation».

Pour joindre notre journaliste: eric.clement@lapresse.ca