Si Hydro-Québec réussit à mettre la main sur Énergie New Brunswick, elle héritera de 370 000 clients de plus, mais, surtout, d'un accès accru au marché américain qui lui permettrait de vendre des surplus d'électricité qui risquent de s'empiler.

Un coup d'oeil à la carte des réseaux électriques du Nord-Est américain suffit pour comprendre une des motivations d'Hydro dans cette transaction historique qui verrait pour la première fois une société d'État en avaler une autre dans une province voisine. Le réseau du Nouveau-Brunswick est relié à celui de la Nouvelle-Angleterre et il pourrait transporter deux fois plus d'électricité du Québec vers Boston et New York.

L'accès aux interconnexions du Nouveau-Brunswick est intéressant pour Hydro-Québec, mais ce n'est pas sa principale motivation dans cette transaction, selon Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie et professeur à HEC-Montréal.

«Je pense que les intérêts d'Hydro-Québec sont, dans l'ordre, le marché du Nouveau-Brunswick, les interconnexions avec les États-Unis et le fait de pouvoir mettre des bâtons dans les roues du premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams», a-t-il dit au cours d'un entretien avec La Presse Affaires.

Pour le Nouveau-Brunswick, l'avantage de la transaction estimée à 10 milliards de dollars est encore plus clair. «Éliminer d'un coup 40% de la dette de la province, c'est déjà un avantage assez grand», résume Denis Losier, ancien ministre dans le cabinet de Frank McKenna et maintenant président-directeur général de la compagnie d'assurances Assomption-Vie de Moncton, une des plus importantes institutions financières de la province.

Selon lui, la transaction est à l'avantage des deux parties. Hydro-Québec améliorera son accès au marché américain et les Néo-Brunswickois auront accès à de l'électricité propre à meilleur coût.

La plus grande partie de l'électricité consommée au Nouveau-Brunswick est produite avec du charbon et du pétrole lourd, des sources d'énergie très polluantes et, surtout, de plus en plus coûteuses. En raison du coût croissant des approvisionnements, la dette d'Énergie New-Brunswick s'alourdit. Elle atteint actuellement 4,8 milliards, ce qui représente près de la moitié de la dette totale de la province. Énergie Nouveau-Brunswick vient de sortir d'un procès qui aura duré quatre ans avec le Venezuela, pour une question d'approvisionnement d'une de ces centrales thermiques et il est question d'une poursuite contre Énergie Atomique du Canada pour les coûteux retards qui s'accumulent dans la réfection de la centrale nucléaire de Pointe-Lepreau.

Pour toutes ces raisons, les tarifs d'électricité ont bondi. Ils augmentent chaque année et ils sont 30% plus élevés qu'au Québec, soit autour de 10 cents le kilowattheure, comparativement à 7 cents.

Un bon prix?

Si la transaction avec Hydro-Québec se réalise, les consommateurs du Nouveau-Brunswick bénéficieraient d'un gel pour les tarifs résidentiels et d'une baisse pour les tarifs industriels, souligne Denis Losier. Il appartiendra au premier ministre Shawn Graham d'obtenir la garantie que les tarifs resteront bas, ajoute-t-il.

Le premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams, est parti en guerre contre la transaction avant même qu'elle soit annoncée. On peut le comprendre, lui qui comptait sur le Nouveau-Brunswick pour l'aider à acheminer l'énergie de ses futurs projets hydroélectriques vers les États-Unis.

Danny Williams et les autres premiers ministres des Maritimes peuvent bien rouspéter, le Nouveau-Brunswick a le droit de prendre ses décisions, estime Denis Losier. «Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse prennent aussi des décisions qui ne sont pas toujours à l'avantage du Nouveau-Brunswick.»

Même dans la province, la transaction suscitera la controverse, prévoit Denis Losier. «Il s'en trouvera pour dénoncer le projet machiavélique du Québec et pour déplorer l'abandon d'un secteur économique important, dit-il, mais c'est un faux débat.»

L'important, selon lui, c'est qu'avec les revenus de la transaction, le Nouveau-Brunswick pourra attirer des industries et garder celles qu'il a, parce qu'il en perd de plus en plus à cause du prix élevé de l'énergie. Il pourra aussi investir dans la santé et l'éducation.

«Il va falloir que la transaction soit bien expliquée», croit-il.

On sait encore peu de choses sur la transaction qui sera annoncée aujourd'hui. Selon les informations qui circulent, Hydro-Québec pourrait payer 10 milliards, en incluant la prise en charge de la dette, pour acheter Énergie Nouveau-Brunswick, une entreprise dont la taille est 10 fois plus petite que la sienne.

Est-ce un bon prix? C'est très difficile à dire, selon Jean-Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval. Ça dépend de ce qui sera inclus dans la transaction, selon lui, et des synergies qui peuvent être réalisées.

Il semble qu'Hydro soit intéressée par le réseau de transport et quelques équipements de production, à l'exception des centrales thermiques, et pas par le réseau de distribution.

En plus de vendre son électricité au Nouveau-Brunswick, Hydro-Québec aura aussi un accès aux marchés de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard.

Mais c'est le marché américain qui reste le plus attrayant. Hydro-Québec tente depuis longtemps d'accroître sa capacité d'exportation, ce qui coûte cher. Pour rejoindre le réseau ontarien, tout proche, Hydro vient de dépenser 650 millions.

Son projet d'une nouvelle ligne de transport entre la ligne Nicolet-DesCantons et le sud de l'État du New Hampshire, soumis avec deux partenaires américains, est estimé à 1 milliard US et il pourrait prendre des années à se réaliser.

ÉLECTRICITÉ: DEUX PROVINCES COMPARÉES

Énergie New Brunswick

> Nombre de clients : 370 000

> Revenus annuels : 1,7 milliard

> Bénéfice net : 89 millions

> Nombre d'employés : 2500

> Puissance: 3324mégawatts

> 39% charbon, mazout et gaz naturel

22% nucléaire

23% hydroélectrique

Hydro-Québec

> Nombre de clients : 3,9 millions

> Revenus annuels : 12,3 milliards

> Bénéfice net : 3,1 milliards

> Nombre d'employés : 23 000

> Puissance: 36 429 mégawatts

> 95% hydroélectrique