«Nous, les policiers, on est honnêtes.» La phrase lancée comme une grande évidence par l'enquêteur de la Surêté du Québec dans le cadre de l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva a eu l'effet d'un coup de poing. Sans le vouloir, le policier Bruno Duchesne, irrité par les questions répétées remettant en question son impartialité, confirmait en rougissant l'utilité même de cette enquête publique.

«Nous, les policiers, on est honnêtes.» Le coeur du problème, ou du moins son oreillette, semble être là, dans ce Nous qui mène une enquête sur un autre honnête membre du même Nous. Ce Nous qui se définit forcément par opposition à un Eux qui n'est pas nommé. Dans le coin droit, Nous, les policiers foncièrement honnêtes. Dans le coin gauche, Eux, les jeunes délinquants de minorités foncièrement malhonnêtes. La cause est-elle donc déjà entendue? À quoi bon mener une enquête, alors?

Au nom de l'objectivité et de l'impartialité, la politique ministérielle commande qu'une enquête policière à la suite d'événements impliquant des policiers au cours desquels quelqu'un a été blessé ou tué soit menée par un autre corps policier. C'est donc ce qui s'est passé à la suite du décès de Fredy Villanueva, ce jeune de 18 ans de Montréal-Nord tué par le policier Jean-Loup Lapointe du SPVM le 9 août 2008. La SQ était chargée de mener l'enquête.

Objectivité et impartialité? Quand l'enquêteur de la SQ dit «Nous, les policiers, on est honnêtes», on est de toute évidence un peu loin d'une vision objective et impartiale des choses. Je ne dis pas qu'il est plus objectif de considérer le clan du «Eux» comme d'innocentes victimes n'ayant rien à se reprocher - on sait que c'est faux. Certains des jeunes interpellés par les policiers le jour de la fusillade sont des membres de gangs de rue et avaient déjà eu des démêlés avec la justice. Mais lorsqu'un enquêteur soi-disant impartial déclare «Nous, les policiers, on est honnêtes», on a l'impression, une fois de plus, que ce sont ici les boys qui mènent une enquête sur les boys. Et que cette enquête, portée par un Nous solidaire et une vision manichéenne des choses, vise précisément à empêcher tout risque de condamnation pour un membre de la confrérie. Car comment expliquer autrement le fait que les méthodes employées soient si différentes selon qu'on soit en présence d'un simple citoyen ou d'un policier?

Jusqu'à présent, l'enquête du coroner a permis de montrer très clairement le traitement différent auquel policiers et jeunes témoins ont eu droit. Du côté des citoyens témoins, on a pris soin de les séparer dans les minutes qui ont suivi le drame pour éviter qu'ils ne se «contaminent», comme disent les policiers (c'est-à-dire qu'ils accordent leurs versions). On s'est aussi empressé de les interroger rapidement, alors que certains étaient encore sur leur lit d'hôpital.

Du côté de l'honnête Nous, on n'a rien fait de tout cela. On n'a pas craint la «contamination». On a laissé les deux policiers prendre la même ambulance en compagnie de leur délégué syndical. Et l'enquêteur responsable de l'affaire n'a, à aucun moment, interrogé les deux policiers. Il a préféré se contenter de ce qu'il a appelé la «version pure» donnée par écrit par les policiers. Pure et sans aucun risque de contamination, bien sûr. Parce que «nous, les policiers, on est honnêtes».

C'est ainsi que par un jeu de téléphone arabe, l'enquête menée par la SQ a démarré sur des bases erronées. Après le drame, des gens du SPVM ont dit à l'enquêteur que les policiers avaient été encerclés, jetés au sol et étranglés par les jeunes. Or, aucun de ces faits n'a été confirmé par l'enquête, a reconnu l'enquêteur Duchesne.

Comment peut-on mener une enquête rigoureuse sans même interroger les acteurs principaux du drame? Sans même leur poser une seule question? L'enquêteur de la SQ a invoqué les articles 262 et 263 de la Loi sur la police. Selon lui, cette loi lui commandait d'attendre le rapport écrit des deux policiers sans poser de questions. Il ne voulait pas brûler les étapes, dit-il.

S'il est vrai que la loi exige qu'un policier, dans ce genre de situation, fournisse une déclaration écrite et signée, elle n'interdit pas pour autant à l'enquêteur d'interroger le policier. Cela dit, comme l'a lui-même souligné l'enquêteur Duchesne, même s'il avait voulu interroger les policiers, ceux-ci se seraient sans doute prévalus de leur droit au silence et on n'aurait pas été plus avancés.

Alors que faire dans un cas comme celui-là? Une solution consisterait à déposséder les policiers de leur droit au silence lorsqu'ils font des gestes dans l'exécution de leurs fonctions, même si ces gestes sont de nature à entraîner des accusations criminelles. Comme les policiers jouissent de pouvoirs exceptionnels en matière d'utilisation de la force, on pourrait exiger d'eux, par souci d'équité, des devoirs exceptionnels. Le devoir de rendre compte de la manière dont ils utilisent leur pouvoir. Impopulaire auprès des policiers, cette mesure exceptionnelle aurait le mérite de dissiper cette perception selon laquelle les policiers jouissent de l'impunité.

En soulevant ce genre de questions, on comprend que l'enquête publique sur les causes et les circonstances du décès de Fredy Villanueva ne concerne pas que la famille du disparu. De façon plus large, il y est forcément aussi question de l'impartialité du système de justice, de la conduite des policiers dans les quartiers défavorisés où sévissent des gangs de rue et des relations entre «Nous, les policiers» et «Eux, les minorités». Et on aurait tort de croire que les enjeux - la justice et la paix sociales - ne concernent que l'arrondissement de Montréal-Nord.