Le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a reproché hier aux institutions financières du monde de «résister» aux tentatives de réforme de l'industrie et les a exhortées à changer d'attitude.

«Le système financier, après s'être autoproclamé centre de l'activité économique, doit graduellement reprendre son rôle de serviteur de l'économie réelle», a déclaré M. Carney dans un discours prononcé à Montréal dans le cadre du 4e Rendez-vous avec l'Autorité des marchés financiers (AMF).

«Des institutions plus solides et un système capable de résister aux défaillances sont des conditions nécessaires. Mais la pleine réalisation de cet objectif exige aussi un changement d'attitude», a-t-il ajouté.

Pour éviter l'éclosion d'une nouvelle crise financière, la Banque du Canada dit prôner davantage une «réglementation qui se fonde sur des principes» et «la confiance dans le jugement des personnes» plutôt que la «foi aveugle» dans la surcapitalisation.

«Or, une telle conception suppose une réceptivité de la part de l'industrie, réceptivité qui a manqué à l'appel au cours des derniers mois, a déploré le gouverneur. Le soulagement menace de céder la place à un orgueil démesuré. Les institutions financières doivent démontrer qu'elles sont conscientes de leurs responsabilités élargies. Chaque jour, les financiers devraient se demander en quoi leurs activités influent sur le risque systémique et ce qu'ils font pour la promotion de la croissance économique.»

Lors d'une séance de questions-réponses, Mark Carney a indiqué que ses homologues des autres pays et lui étaient «déçus» du comportement des banques face aux changements réglementaires récemment proposés par le G20. Il a notamment évoqué le retour des généreux bonus dans plusieurs institutions américaines et européennes, à peine un an après la faillite de la banque Lehman Brothers, qui a précipité la crise.

«À l'échelle mondiale, pas nécessairement au Canada, il y a une pénurie de fonds propres (dans les institutions financières), a-t-il souligné. Alors est-ce une bonne idée de payer de fortes primes? On peut décider. Mais peut-être (que) les régulateurs vont décider.»

Les énormes profits enregistrés au cours des derniers mois par plusieurs institutions financières occidentales s'expliquent en bonne partie par l'aide apportée par les gouvernements, que ce soit des injections dans le capital-actions, des prêts ou des facilités de trésorerie extraordinaires, a rappelé M. Carney.

C'est sans compter que les institutions financières ont profité des politiques monétaires expansionnistes (faibles taux d'intérêt promis pendant plus d'un an) et de la nette diminution de la concurrence internationale, en raison de la faillite de plusieurs institutions et de la baisse de l'activité bancaire transfrontalière.

«Les banques à l'échelle du globe auraient tout intérêt à saisir cette occasion qui leur est offerte», a prévenu le gouverneur de la banque centrale, en soulignant que les pouvoirs publics allaient être réticents à secourir les institutions financières dans l'éventualité d'une nouvelle crise.

L'Association des banquiers canadiens s'est empressée de joindre les journalistes pour soutenir que Mark Carney ne les visait pas spécifiquement.

»Mémoire courte»

Il reste que dans le cadre du même événement, le surintendant des marchés de valeurs de l'AMF, Louis Morisset, a relevé que les mauvaises habitudes étaient vite revenues au galop.

«Les progrès qu'on a accomplis jusqu'à (en matière réglementaire) sont importants, mais il nous reste encore, comme régulateur, beaucoup de travail à faire, a-t-il affirmé. Les défis sont importants parce que les marchés évoluent rapidement et que malheureusement, la mémoire des investisseurs et des intervenants du marché est excessivement courte. Dès maintenant, on est en train de voir, de façon ponctuelle, des comportements que l'on jugeait très répréhensibles qui reviennent graduellement dans les marchés.»

Abordant le fiasco du papier commercial adossé à des actifs (PCAA), M. Morisset a estimé qu'il était «peut-être temps» pour les organismes réglementaires d'imposer aux produits financiers complexes des «conditions» en matière de divulgation et de transparence.

«L'expérience récente avec le PCAA nous a démontré que les investisseurs institutionnels, même avertis, ne sont pas toujours en mesure de bien comprendre et saisir les risques reliés aux instruments titrisés», a-t-il fait remarquer.