Hormis les chiens irakiens qui ont émigré aux États-Unis pour retrouver leurs amis soldats, peu d'animaux semblent avoir profité des 3,4 millions récoltés l'an dernier par SPCA International, l'organisme fondé dans la controverse par l'ex-directeur de la SPCA de Montréal Pierre Barnoti.

C'est ce qui se dégage à la lecture d'un bilan des revenus et dépenses de 2008, que SPCA International a déposé en Cour supérieure, dans le litige qui oppose son fondateur, M. Barnoti, à la SPCA Montréal. Celle-ci reproche à M. Barnoti d'avoir détourné le nom de domaine SPCA.com pour fonder un organisme parallèle aux États-Unis: SPCA International. Cet organisme, qui n'exploite pas de refuge d'animaux, fonctionne à partir d'un site internet. Il s'emploie à recueillir des fonds afin de «promouvoir la sécurité et le bien-être des animaux», lit-on sur le site. Dans cet esprit, l'organisme a lancé des programmes, dont «Shelter of the Week», qui se traduit par des dons à des organismes existants, et «Operation Baghdad Pups», qui consiste à aller en Irak chercher des bêtes avec lesquelles des militaires ont tissé des liens pendant leur affectation. En 2008, 75 chiens et chats auraient ainsi été transportés aux États-Unis, selon SPCA International, à un coût variant de 3 000 à 4 000$ par animal.

D'importantes dépenses

SPCA International a été enregistrée en mai 2006 au Delaware par M. Barnoti. Mais ce n'est véritablement qu'en janvier 2007 que cet organisme sans but lucratif a commencé ses activités. Cette année-là, 567 000$ ont été recueillis. L'année suivante, en 2008, les revenus ont bondi à 3,4 millions. Malgré tout, l'organisme est déficitaire de plus de 2 millions, principalement en raison des dépenses de «marketing et publicité», qui s'élèvent à 4,9 millions selon le document. Il faut dire qu'à elle seule, la facture de «management direct mail» (sollicitation postale) se chiffre à 4,8 millions. En ce qui concerne les dépenses liées aux programmes pour animaux, elles s'élèvent à moins de 200 000$. Et ce sont le transport de longue distance (115 834$) et les cageots pour l'avion (48 198$) qui se sont taillés la part du lion à ce chapitre.

Les chiffres ont de quoi étonner. La Presse a joint M. Barnoti la semaine dernière afin d'obtenir des explications. Il se trouvait alors aux États-Unis. Avant que La Presse ait précisé de quel document il était question, le fondateur de SPCAI a répondu qu'il ne parlerait pas. «Il y a des tas de choses que je voudrais vous dire, mais mes avocats m'ont dit de ne pas parler. Et je veux qu'on en reste là», a-t-il dit. Selon les plaidoiries que son avocat Julius Grey a faites en cour en septembre, en déposant le bilan, celui-ci n'était pas final et n'avait pas été «vérifié», mais il démontrait clairement qu'il n'y avait pas de profit. Me Grey avait aussi fait valoir que la dépense de 4,8 millions ne reviendrait plus les autres années, puisque les donateurs ayant été ciblés, le reste se ferait «sur l'internet». Une explication et une hypothèse qui n'ont pas du tout convaincu l'avocat de la SPCA de Montréal, Marc-André Blain. «Je ne sais pas, moi, mais si j'apprenais que de mon 20$ que je donne chaque année à Centraide, il n'y a qu'une cenne qui va à l'organisme et le reste en dépenses de «direct mail» ou autres, je serais hors de moi», a-t-il dit devant la juge Danielle Richer.

Deux procès à venir

M. Barnoti est arrivé à la SPCA de Montréal en 1994, en vendant à l'administration en place un ambitieux projet de campagne de financement. Étant en faillite personnelle, il s'est engagé dans l'organisme, et l'année suivante, il a été embauché comme directeur de la SPCA. Il a tenu les rênes de l'organisme jusqu'à son congédiement, en juillet 2008. La SPCA de Montréal lui reproche sa gestion et l'accuse d'avoir monté son projet aux États-Unis sans l'avoir clairement défini, avec les fonds de la SPCA, et alors qu'il était payé comme directeur de l'organisme. M. Barnoti affirme de son côté que la SPCA Montréal lui a volontairement cédé le nom du site, afin d'éviter que des extrémistes irrationnels s'en emparent. Il est aussi question de royautés de 15% sur les profits, qu'il se serait engagé «verbalement» à payer à la SPCA de Montréal.

L'affaire n'est pas simple et déchaîne les passions dans le milieu de la protection des animaux. Deux procès civils sont à venir et ils promettent d'être chauds: un procès intenté par la SPCA de Montréal qui veut récupérer le nom de domaine SPCA.com, et l'autre intenté par Barnoti, de 1,3 million, pour congédiement illégal. Récemment, la juge Danielle Richer a émis une injonction interlocutoire partielle, ordonnant à SPCA International de dévoiler les revenus récoltés jusqu'ici par l'entremise de SPCA.com. Par ailleurs, les revenus actuels et futurs doivent être placés à part, dans un compte en fidéicommis. SPCA International s'est aussi engagée à déposer 50 000$ dans un compte en fidéicommis en janvier prochain, pour assurer le paiement des fameuses royautés, advenant qu'il y ait des profits.

La SPCA (Société de prévention de la cruauté envers les animaux) est bien connue dans le monde, mais beaucoup de gens ignorent que chaque refuge fonctionne de manière indépendante et se finance par ses propres moyens. Alors qu'il était en processus de création de SPCA International, M. Barnoti avait fait valoir que, sans effort, le nom SPCA générait 30 millions de clics par année sur l'internet. Ces clics pourraient se traduire par des dons, avait-il signalé à Quadriga Art Inc., une entreprise américaine spécialisée en campagnes de financement. Le coût estimé du projet était de 500 000$. Quadriga Art a accepté de participer, et s'est engagée à financer le projet à hauteur de 1 million. Plus tard, elle a assuré sa créance en prenant une hypothèque sur l'immeuble de la SPCA, rue Jean-Talon.