Après des années d'enquête, un premier pharmacien vient d'être déclaré coupable par l'Ordre des pharmaciens d'avoir violé son code de déontologie parce qu'il a accepté les nombreux cadeaux offerts par des fabricants de médicaments génériques.

Cette décision vient sanctionner une pratique illégale qui a eu des impacts majeurs pour les contribuables québécois. En 2003, une vaste enquête de La Presse a révélé que les fabricants de médicaments génériques versaient des ristournes de plus de 100 millions de dollars aux pharmaciens, chaque année, plutôt que de baisser le prix de leurs médicaments.

Au bout du compte, ce sont les acheteurs qui payaient ces gigantesques cadeaux. Les ristournes ont pris toutes les formes: chèques-cadeaux, argent liquide, voyages dans le Sud, appareils de cinéma maison, ordinateurs, voitures, motocyclettes, rabais, produits gratuits, etc.

La Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) a déposé des poursuites contre les fabricants. L'Ordre des pharmaciens a ouvert sa propre enquête et décidé de poursuivre plusieurs de ses membres.

Luc Archambault, pharmacien à Saint-Charles-Borromée, dans Lanaudière, est le premier à être déclaré coupable. Dans une décision rendue le 31 août, le conseil de discipline de l'Ordre affirme qu'il a commis 11 infractions. Son dossier fait partie d'un groupe de 20 plaintes de même nature déposées contre d'autres pharmaciens.

M. Archambault a admis avoir reçu des cadeaux et des ristournes des fabricants Apotex, Genpharm, Pharmascience et Ratiopharm de 2000 à 2004. Il a cependant plaidé qu'il avait le droit de recevoir des «rabais-volume».

Un de ses témoins, Daniel Larouche, ancien conseiller et négociateur de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires, a affirmé qu'«exploiter une pharmacie, c'est comme exploiter un magasin Rona». Selon lui, il est normal qu'un pharmacien, tout comme un quincaillier, profite de rabais quand il achète en gros.

Le procureur du syndic de l'Ordre s'est dit choqué par un tel argument. La pharmacie n'est pas un commerce comme les autres, a-t-il dit. Il a affirmé que la «pratique des rabais-volume a pour effet d'augmenter les coûts des médicaments et qu'en bout de piste, le patient paie plus cher ses médicaments».

Le gouvernement québécois et l'ensemble des contribuables québécois ont été les principales victimes de la pratique des ristournes. Chaque année, la RAMQ remboursait de 200 à 300 millions de dollars de médicaments génériques aux personnes qui n'étaient pas couvertes par une police d'assurance privée. Le ministre de la Santé demandait aux fabricants de lui garantir les meilleurs prix.

Pendant ces années-là, ces prix correspondaient à environ 60% des prix des médicaments d'origine correspondants. Le Québec s'alignait ainsi sur ce qui était payé en Ontario. En vérité, ces prix étaient 10 fois plus élevés que les frais de production. Les profits étaient tellement importants que les fabricants se menaient une guerre commerciale pour convaincre les pharmaciens de choisir leurs médicaments plutôt que ceux de leurs concurrents. Comme les génériques sont tous identiques et sont tous vendus au même prix, la seule façon de les séduire consistait à leur offrir des ristournes.

Las de se faire avoir, le gouvernement ontarien a décidé, cette année, de couper en deux les prix payés aux fabricants de médicaments génériques. Le gouvernement québécois a emboîté le pas. Désormais, la RAMQ paiera seulement 25% du prix des médicaments d'origine. Les économies pourraient dépasser les 160 millions de dollars par année.

La Presse a tenté de joindre Luc Archambault à sa pharmacie, mais on nous a indiqué qu'il n'en est plus le propriétaire.