«Il avait 15 ans. Il était très, très influençable, très vulnérable, et suivait n'importe qui dans la rue. Un soir, il s'est retrouvé dans une chambre d'hôtel avec des gens qui fumaient du crack, le lendemain, c'était de l'héroïne», se souvient Caroline Dufour.

L'intervenante se souviendra longtemps de cet adolescent qui souffrait de déficience intellectuelle, de problèmes de santé mentale et avait fugué d'un centre jeunesse. «On se disait que ça n'avait pas de bon sens! On le renvoyait au centre... et il nous revenait deux jours plus tard: «Salut, c'est moi! Je suis revenu!»» raconte la directrice des services de première ligne au bunker de l'organisme montréalais Dans la rue.

«On téléphonait et on était frappés par l'impuissance de son travailleur social qui disait: «Je ne peux pas le retenir de force, et ça va prendre deux semaines avant que, peut-être, je puisse le placer en encadrement intensif.»»

«La loi a du bon et ce n'est pas mon genre d'être pro-enfermement, souligne la jeune femme. Mais le pendule est peut-être passé d'un extrême à l'autre. Il y a un déséquilibre.»

Au refuge d'En Marge 12-17, qui aide aussi les jeunes en détresse, les mineurs ayant fui la DPJ prennent deux fois plus de place qu'il y a quatre ans. En 2006-2007, ils représentaient 12% de la clientèle, contre 23% en 2009-2010, et 25% l'année précédente.

Plus en péril qu'avant

Globalement, les jeunes se tournent quand même moins vers les refuges du centre-ville, constate Manon Harvey, d'En Marge. «C'est inquiétant, estime-t-elle. Il faut pouvoir leur dire: Ce n'est pas parce que tu es en fugue que tu es obligé de tout accepter pour survivre. Tu peux venir frapper à la porte.»

«Entre 2003 et 2005, il y a eu une baisse incroyable de mineurs fugueurs qui viennent dans nos ressources, confirme Caroline Dufour. Des gangs de rue sont apparus, les jeunes se font sans doute offrir de faire des activités illicites, de faire de la prostitution ou de la fraude. Et la répression policière au centre-ville est beaucoup plus élevée qu'avant et éloigne les jeunes.»

Les adolescents en fuite sont donc encore plus en péril qu'avant, dit-elle. Un constat qui a motivé le lancement d'une grande recherche terrain à Montréal, Québec, Trois-Rivières et Drummondville. «Ce qui ressort jusqu'ici, c'est que le jeune fugue par besoin de liberté. Certains n'arrivent pas à s'adapter à un cadre rigide et auraient fugué, que les portes soient barrées ou non», révèle Anna Di Tirro, coordonnatrice du projet de recherche.

«On se demande maintenant si, à trop vouloir protéger le jeune, on ne finit pas par contraindre son développement, avance l'ex-travailleuse de rue. La société et les parents ont des attentes. La DPJ subit des pressions de partout. Mais les éducateurs désirent réfléchir sur leurs pratiques pour intervenir le mieux possible.»

«Il faut mettre sur pied des initiatives pour ces jeunes, affirme de son côté Caroline Dufour. On aimerait bien qu'un observatoire sur la fugue soit créé. C'est une chose qui existe en Europe mais pas au Québec. Pour l'instant, nous n'avons à peu près pas de données.»