L'entrepreneur en construction Tony Accurso ayant admis tous les faits rapportés à son sujet dans l'émission Enquête, Radio-Canada ne peut l'interroger plus à fond pour continuer son enquête journalistique.

C'est ce qui ressort d'une décision rendue récemment par la juge Chantal Corriveau dans le cadre de la poursuite de 2,5 millions qu'Accurso a intentée contre le journaliste Alain Gravel et son employeur, Radio-Canada.

 

Diffusée le 24 septembre dernier, l'émission mettait en lumière les relations d'Accurso avec des dirigeants de la FTQ et du Fonds de solidarité, de même qu'avec certains élus comme Frank Zampino. Il était question notamment de ceux qui ont séjourné à bord de son luxueux yacht aux îles Vierges.

Dans les semaines suivantes, M. Accurso a intenté sa poursuite pour atteinte à sa vie privée et à sa réputation. Mais dès le mois de novembre, le prospère entrepreneur, dans un aveu judiciaire, a admis que les faits présentés dans l'émission étaient vrais. On peut dire aujourd'hui que cet aveu sert et dessert M. Gravel et Radio-Canada.

Interrogatoire limité

M. Gravel et Radio-Canada soutiennent que la poursuite est mal fondée, car les faits rapportés étaient d'intérêt public. Ils allèguent aussi que les sommes que réclame Accurso sont grossièrement exagérées étant donné sa réputation. Pour démontrer cette mauvaise réputation, ils ont tenté de poser des questions à Accurso lors d'un interrogatoire au préalable (avant le procès). Mais voilà, les avocats d'Accurso ont systématiquement fait objection à ces questions au motif qu'elles n'étaient pas pertinentes étant donné l'admission faite par leur client. La juge leur donne raison, pour la quasi-totalité des objections, du moins à ce stade-ci du procès.

«Le fait pour Accurso d'avoir poursuivi en réclamant une somme d'argent à titre de dommages-intérêts qui soit très élevée ne peut donner ouverture à compléter le travail d'enquête journalistique entrepris. À titre d'exemple, de savoir combien de fois M. Arsenault est allé sur le bateau d'Accurso, en présence de qui, et qui d'autre du Fonds ou d'organismes liés sont allés sur le bateau d'Accurso, ne sont pas des faits qui sont utiles à la détermination des questions en litige», écrit la juge dans sa décision. Elle précise ensuite: «N'eût été de l'aveu judiciaire consigné au dossier, ce dernier aurait pris une tournure bien différente.» Plus loin, elle signale que ce n'est pas à Accurso de dévoiler aux défendeurs des faits dont ils «ignorent tout peut-être aux fins de continuer leur enquête».

Enfin, la juge explique que la diffamation peut prendre la forme d'éléments faux diffusés de façon consciente ou négligente, ou d'éléments vrais diffusés dans le but de nuire - ce que soutient Accurso en l'occurrence.

On peut supposer que le dossier va cheminer encore un bon moment avant de connaître son dénouement.