Malgré la pression de 200 organismes canadiens de défense des enfants, la fessée est encore légale. Dans une décision très partagée, en 2004, la Cour suprême du Canada a maintenu l'article 43 du Code criminel, en concluant qu'on peut corriger les enfants de 2 à 12 ans, mais qu'il ne faut pas les atteindre à la tête ni utiliser des objets. Cette semaine, la célèbre pédiatre et députée Edwige Antier, à l'origine d'un projet de loi en France visant à interdire les châtiments corporels, publie le livre L'autorité de la fessée. Elle s'entretient avec La Presse de son combat politique et des effets pervers de la fessée sur la psyché des adultes de demain.

Q- Où en êtes-vous avec ce projet de loi sur l'interdiction de la fessée?R- Cette loi a déjà été votée dans 22 pays membres du Conseil de l'Europe. La difficulté, en France, c'est qu'il y a une sorte de croyance qui veut que, si on ne peut plus lever la main sur un enfant, on n'aura pas d'autorité. Et donc, on est obligé de faire campagne pour que l'opinion publique évolue et que les politiciens osent voter.

Q- Dans votre livre, il est d'ailleurs beaucoup question de cette réticence des parents, et de l'urgence de mettre en place cette loi. Vous parlez des effets pervers de la fessée ou des châtiments corporels sur les enfants. Quels sont-ils?

 

R- Tout d'abord, on me dit souvent que la fessée n'est pas un châtiment corporel. C'est faux. Les gens me disent aussi qu'il n'y a rien de grave dans une petite tape sur la main d'un enfant de 1 an assis sur ses genoux. Moi, je réponds que l'enfant qui reçoit une tape sur la main alors qu'il tend la main vers un objet sur la table comprend qu'il s'agit d'un jeu. Et il recommence, en riant. Quand il grandit, il dit «même pas mal», et après il fait ses bêtises en cachette. Il ne sait pas pourquoi un jour vous tapez, et un jour vous ne tapez pas. Et il en découle la perte de confiance en soi parce qu'on a toujours le souvenir de la main levée sur vous. Déjà, juste de menacer un enfant ça inhibe son potentiel cognitif.

Q- Pour en finir avec des enfants «moins bien élevés»?

R- Absolument. Les enfants qui ne reçoivent pas de claques sont mieux élevés que ceux qui en reçoivent. Parce que ceux qui en reçoivent deviennent plus agressifs. C'est extrêmement préjudiciable et ça ne donne aucune autorité aux parents.

Q- Et que dites-vous aux parents qui ne savent pas faire autrement?

R Je tente dans mon livre de dresser plusieurs scènes de la vie quotidienne. En expliquant ce que vit, ce que comprend l'enfant. Et une fois qu'on comprend à quel point c'est absurde du point de vue de l'enfant, j'explique ce qu'il faut faire. En guidant les parents dans une parentalité positive, où le respect de l'enfant les conduira à obtenir le respect.

Q- Mais pour y parvenir, vous dites aussi qu'il faut changer des schèmes.

R- Effectivement. La grande résistance que l'on rencontre, même auprès des députés, c'est qu'ils ont eux-mêmes donné des fessées. Et ils en ont reçu. Ils ressentent donc de la culpabilité. Et comme tout le monde en a donné, c'est difficile de changer le comportement. Ils ont été élevés en se faisant dire que l'éducation passe par la main levée.

Q- Votre projet de loi va d'ailleurs dans le sens de l'éducation des parents, puisque vous dites qu'il faut une campagne d'information et une aide à la parentalité.

R- Je ne cherche pas à criminaliser ou à critiquer les parents. J'ai voulu un article de loi très simple pour ne pas donner des prétextes. L'aide à la parentalité n'est donc pas dans la loi parce que nous avons des réseaux extrêmement développés. Sauf que les parents ne savent pas s'en servir parce qu'ils ne savent pas qu'ils font mal. Avec la loi, ils le savent.

Q- Ce serait donc un peu comme la conduite automobile, il faut un permis? Un guide? Un mode de fonctionnement?

R- Voilà. Car être parent, c'est naturel, c'est-à-dire mettre un enfant au monde, se sentir son protecteur. Lui donner du lait, aussi. Mais après, ce n'est pas évident de le faire grandir dans une société qui change énormément, avec toutes les tentations, les niveaux d'études exigés. Les parents sont souvent fatigués avec le travail et le reste, ils ont donc besoin d'aide.

Q- Et une fois ce projet de loi adopté, quelle sera la prochaine étape?

R- Ce sera une loi pour protéger les enfants de la violence psychique. On en reparlera très bientôt.